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Tutti in maschera !
Hommage à Carlo Pedrotti 

12/10/07

Carlo Pedrotti
© DR

Le retour de Don Carlo.

Non, il ne s’agit pas du célèbre opéra de Verdi mais d’un homme au destin tragique et que le Festival du « Teatro dell’Opera Giocosa » de Savone fait revivre à partir du 12 octobre 2007 en produisant Tutti in maschera, son œuvre la plus populaire. Le compositeur Carlo Pedrotti (1817-1893) vivait dans la plus difficile période de l’opéra italien, c’est peut-être l’une des raisons qui le poussèrent à mettre fin à ses jours en se jetant dans l’Adige, fleuve de sa Vérone natale, après avoir interdit l’exécution de ses oeuvres. Concevoir une telle idée extrême, fruit d’une si grande détresse humaine, semble incompatible avec l’esprit qui engendrait d’aussi séduisantes et enivrantes mélodies aux rythmes irrésistibles… mais peut-être n’est-ce pas aussi contradictoire, après tout : les larmes des clowns et leur larges sourires figés de maquillage ne vont-ils pas de pair, prenant racine au plus profond de leur cœur ?…




Né avec La Cenerentola rossinienne (1817), Carlo Pedrotti montre d’évidentes prédispositions pour la musique et si ses deux premiers opéras ne sont pas créés, il parvient à se faire connaître avec une Lina, donnée à Vérone en 1840, et qui lui vaut la direction de l’Opéra d’Amsterdam. Il y crée Matilde (1841) et La Figlia dell'arciere (1844) puis revient quatre années plus tard à Vérone, se consacrant à la composition et à l’enseignement. Trois opéras connaissent encore une création locale mais les deux derniers sont montés par la Scala : Gelmina o Col Fuoco non si scherza (1853) et Genoveffa del Brabante (1854). Malgré cette reconnaissance nationale, c‘est à nouveau Vérone qui accueille en 1856 la création de Tutti in maschera (Tous masqués), destiné à être l’opéra le plus populaire de Carlo Pedrotti.

Cette joyeuse « commedia lirica » s’inspire de la pièce de Carlo Goldoni L’Impresario de Smyrne et fait la satire d’un monde de l’opéra encore bien vivant. On y voit en effet un pauvre Turc, tellement ébloui par un spectacle vénitien d’opéra, qu’il se montre désireux d’en monter un à son tour et se met en quête de chanteurs acceptant de le suivre en Turquie. C’était sans compter avec les « convenienze », comme dirait Donizetti, ou les exigences de ces messieurs dames les chanteurs ! Comprenant où se trouve son salut, il repart en laissant noblement au port un envoyé attendant les chanteurs pour les dédommager.

Les quelques plus de soixante minutes d’extraits disponibles (par piano informatique !) de Tutti in maschera laissent nettement apparaître la veine mélodique toujours renouvelée de Carlo Pedrotti. Les mélodies se succèdent, alternant un brio toujours piquant et accrochant l’oreille en éveillant son intérêt, et une chaleur de motif, et également comme une sorte d’élan désespéré mais gracieux et se teintant de mélancolie tout à fait à la manière de Donizetti, mais corrigé par Pedrotti d’une pointe d’immédiateté, d’urgence verdiennes.
Dans la lignée de l’opéra-bouffe, Pedrotti se place donc glorieusement à la suite des frères Ricci, reprenant eux-mêmes le flambeau de Donizetti.
 
Le grand succès de Tutti in maschera débordera les frontières d’Italie, atteignant notamment Vienne en 1865 et Paris en 1869, dans une version traduite par Charles Nuitter et Alexandre Beaumont sous le titre de Les Masques. La carrière de Carlo Pedrotti se poursuit et à part le bouffe et attrayant Guerra in quattro (1862), ce sont des drames sérieux qui devaient sortir de sa plume, comme Mazzeppa (Bologne 1861), Marion de Lorme (Trieste 1865) ou l’intéressant Il Favorito, créé à Turin où il dirige le Teatro Regio ainsi que le Conservatoire. Durant cette période turinoise allant de 1868 à 1882, il met en place des Concerts populaires (1872) dont la qualité et le succès furent remarquables.
Olema la schiava, sur un livret de Francesco Maria Piave, est son dernier opéra créé, en 1872 à Modène, tandis que ni Antigone ni La Sposa del villagio ne verront leur partition exécutée.

Parallèlement à la composition d’opéras, Carlo Pedrotti s’est voué à une activité alors naissante et a même connu une certaine notoriété en la matière. Il faut en effet se rappeler comment jusqu’alors l’orchestre n’était que « coordonné » par le premier violon. Carlo Pedrotti est donc l’un des premiers chefs d’orchestre, en tant que « maestro concertatore e direttore », selon l’expression italienne consacrée. Il « concerte » donc et « dirige », imprimant à tout l’orchestre sa lecture des signes musicaux passionnément tracés par le compositeur. Il sera ainsi à la tête de la première exécution italienne d’opéras de Wagner, de Massenet, de Gounod et même de Carmen !

En 1882, la ville de Pesaro instaure enfin le Lycée musical voulu par Rossini, qui avait laissé à sa cité natale un héritage en conséquence et Carlo Pedrotti est choisi pour en prendre les rênes. Dix ans plus tard, il organise les festivités du centenaire de la naissance de l’illustre compositeur de Il Barbiere di Siviglia.
C’est un Carlo Pedrotti fatigué qui se retire peu après dans sa Vérone natale, puis lâche cette condamnation sans appel sur ses propres œuvres : « Roba da vecchi », « Des vieilleries », avant d’en interdire l’exécution.
Il est vrai que l’époque correspondant à la maturité de Verdi, allant de La Traviata (1853) à l’éclosion de la Jeune Ecole avec Cavalleria rusticana (1890) avait fort à faire pour tenter de sortir de l’ombre du Géant. On s’en rend compte en écoutant les opéras aujourd’hui tirés de l’oubli et dont les compositeurs se nomment Petrella, Apolloni, Marchetti… Notre bon Pedrotti ne fait pas exception à la règle si l’on en juge (ou plutôt : si l’on tente d’en juger) par les extraits enregistrés avec piano informatique de ses opéras sérieux et notamment Olema la schiava, composée pourtant à une époque (1872) où la « Giovane Scuola » s’entrevoyait, grâce à des Ponchielli, des Gomes, des Catalani…

La conscience pour Pedrotti de n’avoir produit que de la musique datée, se combinant peut-être avec les malheurs de la vieillesse guettant tout humain, aurait-elle guidé, ce 16 octobre 1893, son geste extrême et désespéré ?




Yonel BULDRINI



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