...
ACTUALITES
[ Sommaire de la rubrique ]

...
 

Adriano in Siria de Pergolèse à la RAI

30/11/07

© www.fondazionepergolesispontini.com

Un festival consacré à un compositeur qui laissa peu d’œuvres est une entreprise courageuse et du reste les organisateurs du « Festival Pergolesi Spontini » eurent la bonne idée d’associer au pauvre Pergolèse, disparu à l’âge de vingt-six ans seulement, Gaspare Spontini, né à quelque distance de cette jolie cité médiévale de Jesi… ne pouvant faire autrement que nommer son théâtre « Teatro Pergolesi ». C’est là que se déroula la reprise de son Adriano in Siria que la RAI vient de diffuser.




Le Festival Pergolesi-Spontini

Des colloques et congrès internationaux, des représentations d’opéras et concerts à Jesi ou à Majolati-Spontini (ainsi nommée car la majolique, faïence de la Renaissance, y est née… en plus de Spontini), viennent habiter cette septième édition du festival, rendant également hommage au bicentenaire de La Vestale.
Outre l’intéressant concert au titre alléchant de : « De La Vestale à Norma, réminiscences venues de l’opéra romantique », concert de transcriptions, fantaisies et paraphrases d’opéras de Spontini, Bellini, Donizetti, Mercadante et Verdi, il y avait cette production de Adriano in Siria, l’un des quatre « opere serie » de Giovanni Battista Pergolesi… Ou plutôt de Giovanni Battista Draghi (ou Drago) son nom véritable, avant que son grand-père, venu de la petite ville de Pergola ne s’installe à Jesi, où on les surnomma rapidement et naturellement « Les Pergolesi ».

Adriano in Siria

Après la reprise de Radio France en 1980, Adriano fut exécuté selon l’édition critique de Dale Monson, reflétant étroitement la version originale napolitaine (utilisée également à Jesi) au Teatro della Pergola de Florence, lors du mois de juin 1985, dans le cadre du festival du « Maggio Musicale Fiorentino ». On avait alors intercalé entre les actes d’Adriano, l’intermezzo Livietta e Tracollo qui, à la création, avait recueilli plus de succès que l’opéra « principal », comme ce fut le cas de la fameuse Serva padrona, destinée à survivre à l’« opera seria » Il Prigionier superbo.

L’impressionnante liste de compositions (vint-cinq opéras ! (1)) habillant le même texte de l’inépuisable Pietro Metastasio ne doit pas laisser penser que l’opération se faisait automatiquement et sans discernement. En effet, la version de Pergolèse eut beau suivre de deux années seulement la première mise en musique (par Antonio Caldara, à Vienne en 1732), on procéda néanmoins à de nombreux aménagements. On coupa dans les récitatifs… et du reste on n’ose penser à ce que devait représenter la durée du premier acte pourtant ici ramenée à 1h.24 mn. !  Les vingt-sept airs furent réduits à vingt, et un duo au troisième acte vint remplacer deux de ces airs. La moitié des airs et morceaux d’ensemble utilisent un texte nouveau et en particulier les trois airs de Farnaspe, refaits entièrement
(2). Il faut préciser que l’interprète devait en être le prestigieux castrat Gaetano Majorano, plus connu sous les surnoms de Caffarelli ou Cafariello. Son étonnante virtuosité fut servie par le compositeur qui lui concocta des airs avec de redoutables sauts vers l’aigu mais dont ce phénomène de Cafariello devait se jouer.

Le style de Pergolesi

Dans cet opéra présentant pratiquement une succession d’airs, Pergolesi réussit à varier rythmes et mélodies et son élégance chaleureuse fait comprendre l’annonce de la grâce et du charme belliniens que divers commentateurs ont voulu y voir. L’audition échappe donc à la monotonie, malgré une prépondérance de voix féminines (cinq sur six !) et une certaine similitude de timbres, comme on le verra plus loin. De plus, une surprise attend l’auditeur à la fin du premier acte, au bout d’une heure et vingt-quatre minutes : le hautbois prélude longuement, charmant l’auditeur n’ayant entendu jusque là aucun instrument surnager sur les cordes raides (pour ne pas dire aigres). C’est précisément Farnaspe, le personnage interprété par Cafariello, qui chante et l’instrument soliste ponctue ses dires, lui répond, l’accompagne. Inspiration subite ou particulière de Pergolesi, et notamment à cause des paroles, faisant allusion au rossignol captif trouvant la force de chanter encore si sa compagne répond à sa plainte ?  Ou est-ce plutôt la volonté de terminer différemment l’acte, préfigurant les merveilleux finales à venir de l’opéra italien ?  Le rythme est posé et lent mais doucement lancinant, pour ainsi dire, comme la douleur du personnage-rossignol s’exhalant dans la plainte que l’on entend. Probablement conscient de son effet, et bien avant que la notion de finale, magnifiée par les Romantiques, apparaisse, Pergolesi confie au même personnage l’air terminant l’acte suivant (d’une durée de quarante-cinq minutes seulement). Cette fois l’air comporte forces vocalises avec sauts dans le suraigu mettant à mal les possibilités de l’interprète. Une autre heureuse surprise nous attend avec ces deux duos permettant enfin aux voix de se mêler harmonieusement, c’est le cas de le dire. Bienvenu également est le bref ensemble final, couronnant un peu rapidement le plus bref acte troisième (35 minutes).

Outre le charme particulier de l’inspiration de Pergolesi, il arrive que l’on découvre au détour d’un air, comment dire ?… certains accords à l’étrange élégance moderne, c’est-à-dire des tonalités créatrices d’atmosphères, de brefs instants musicaux, ou des impressions que l’on retrouve dans la musique d’opéra du XIXe siècle, sous la plume de dignes successeurs-magiciens nommés Bellini, précisément, mais aussi Donizetti et Verdi.

Les interprètes

Dans cette galerie de personnages ultra-travestis (le rôle du castrat est repris par un soprano !), on peine parfois à distinguer qui chante quoi. Les timbres pulpeux des mezzo-sopranos (Marina Comparato et Lucia Cirillo) se ressemblent et ressemblent même par moments à ceux, pourtant plus frais ou fruités des sopranos (Nicole Heaston ou Francesca Lombardi). Il est vrai que le troisième soprano, Olga Pasichnyk, se reconnaît par les sauts périlleux vers le suraigu que le bon Pergolesi avait prévu pour Cafariello.

L’unique voix masculine de la distribution est celle du ténor Carlo Allemano au timbre « blanc » mais sombre (ce n’est pas une opposition en matière de voix !) et dont on coupe même un air (au troisième acte). Sans revenir sur la « verdeur » des instruments de l’« Accademia Bizantina », on peut souligner la belle continuité entre récitatifs et airs probablement due au fait que le chef Ottavio Dantone était « Maestro al cembalo », selon l’expression consacrée, c’est-à-dire claveciniste-chef d’orchestre. Il expliqua du reste par téléphone combien il appréciait cette manière de vivre l’opéra de l’intérieur…


Yonel Buldrini
nov 2007



_____

VII FESTIVAL PERGOLESI SPONTINI

ADRIANO IN SIRIA

« Dramma » en trois actes sur un livret de Pietro Metastasio
Musique de Giovanni Battista Pergolesi
Créé au « Teatro San Bartolomeo » de Naples, le 25 ottobre 1734

Farnaspe : Olga Pasichnyk
Adriano : Marina Comparato
Emirena : Lucia Cirillo
Aquilio : Francesca Lombardi
Sabina : Nicole Heaston
Osroa : Carlo Allemano
Accademia bizantina
Ottavio Dantone « direttore al cembalo » (claveciniste-chef d’orchestre)
(Mise en scène de Ignacio Garcia)

Enregistré les 7 et 9 septembre 2007 au « Teatro Pergolesi » de Jesi

_____

Notes

(1) Parmi les compositeurs d’autres Adriano in Siria, les moins oubliés sont : Egidio Romualdo Duni (1735), Baldassare Galuppi (1740, refait en 1758), Johann Adolf Hasse (1752), et même (pourquoi pas) Johann Christian Bach (1765), Pietro Alessandro Guglielmi (1265) et Pasquale Anfossi (1777).

(2) Renseignements apportés par Marina Vaccarini in : Dizionario dell’opera Baldini&Castoldi s.r.l., Milano 1996.



[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]