Un
festival consacré à un compositeur qui laissa peu
d’œuvres est une entreprise courageuse et du reste les
organisateurs du « Festival Pergolesi Spontini »
eurent la bonne idée d’associer au pauvre
Pergolèse, disparu à l’âge de vingt-six ans
seulement, Gaspare Spontini, né à quelque distance de
cette jolie cité médiévale de Jesi… ne
pouvant faire autrement que nommer son théâtre
« Teatro Pergolesi ». C’est là que
se déroula la reprise de son Adriano in Siria que la RAI vient de diffuser.
Le Festival Pergolesi-Spontini
Des colloques et congrès internationaux, des
représentations d’opéras et concerts à Jesi
ou à Majolati-Spontini (ainsi nommée car la majolique,
faïence de la Renaissance, y est née… en plus de
Spontini), viennent habiter cette septième édition du
festival, rendant également hommage au bicentenaire de La
Vestale.
Outre l’intéressant concert au titre alléchant de : « De La Vestale à Norma,
réminiscences venues de l’opéra
romantique », concert de transcriptions, fantaisies et
paraphrases d’opéras de Spontini, Bellini, Donizetti,
Mercadante et Verdi, il y avait cette production de Adriano in Siria,
l’un des quatre « opere serie » de Giovanni
Battista Pergolesi… Ou plutôt de Giovanni Battista Draghi
(ou Drago) son nom véritable, avant que son grand-père,
venu de la petite ville de Pergola ne s’installe à Jesi,
où on les surnomma rapidement et naturellement « Les
Pergolesi ».
Adriano in Siria
Après la reprise de Radio France en 1980, Adriano
fut exécuté selon l’édition critique de Dale
Monson, reflétant étroitement la version originale
napolitaine (utilisée également à Jesi) au Teatro
della Pergola de Florence, lors du mois de juin 1985, dans le cadre du
festival du « Maggio Musicale Fiorentino ». On
avait alors intercalé entre les actes d’Adriano, l’intermezzo Livietta e Tracollo
qui, à la création, avait recueilli plus de succès
que l’opéra « principal », comme ce
fut le cas de la fameuse Serva padrona, destinée à survivre à l’« opera seria » Il Prigionier superbo.
L’impressionnante liste de compositions (vint-cinq opéras ! (1))
habillant le même texte de l’inépuisable Pietro
Metastasio ne doit pas laisser penser que l’opération se
faisait automatiquement et sans discernement. En effet, la version de
Pergolèse eut beau suivre de deux années seulement la
première mise en musique (par Antonio Caldara, à Vienne
en 1732), on procéda néanmoins à de nombreux
aménagements. On coupa dans les récitatifs… et du
reste on n’ose penser à ce que devait représenter
la durée du premier acte pourtant ici ramenée à
1h.24 mn. ! Les vingt-sept airs furent réduits
à vingt, et un duo au troisième acte vint remplacer deux
de ces airs. La moitié des airs et morceaux d’ensemble
utilisent un texte nouveau et en particulier les trois airs de
Farnaspe, refaits entièrement (2).
Il faut préciser que l’interprète devait en
être le prestigieux castrat Gaetano Majorano, plus connu sous les
surnoms de Caffarelli ou Cafariello. Son étonnante
virtuosité fut servie par le compositeur qui lui concocta des
airs avec de redoutables sauts vers l’aigu mais dont ce
phénomène de Cafariello devait se jouer.
Le style de Pergolesi
Dans cet opéra présentant pratiquement
une succession d’airs, Pergolesi réussit à varier
rythmes et mélodies et son élégance chaleureuse
fait comprendre l’annonce de la grâce et du charme
belliniens que divers commentateurs ont voulu y voir. L’audition
échappe donc à la monotonie, malgré une
prépondérance de voix féminines (cinq sur
six !) et une certaine similitude de timbres, comme on le verra
plus loin. De plus, une surprise attend l’auditeur à la
fin du premier acte, au bout d’une heure et vingt-quatre minutes
: le hautbois prélude longuement, charmant l’auditeur
n’ayant entendu jusque là aucun instrument surnager sur
les cordes raides (pour ne pas dire aigres).
C’est précisément Farnaspe, le personnage
interprété par Cafariello, qui chante et
l’instrument soliste ponctue ses dires, lui répond,
l’accompagne. Inspiration subite ou particulière de
Pergolesi, et notamment à cause des paroles, faisant allusion au
rossignol captif trouvant la force de chanter encore si sa compagne
répond à sa plainte ? Ou est-ce plutôt
la volonté de terminer différemment l’acte,
préfigurant les merveilleux finales à venir de
l’opéra italien ? Le rythme est posé et
lent mais doucement lancinant, pour ainsi dire, comme la douleur du
personnage-rossignol s’exhalant dans la plainte que l’on
entend. Probablement conscient de son effet, et bien avant que la
notion de finale, magnifiée par les Romantiques, apparaisse,
Pergolesi confie au même personnage l’air terminant
l’acte suivant (d’une durée de quarante-cinq minutes
seulement). Cette fois l’air comporte forces vocalises avec sauts
dans le suraigu mettant à mal les possibilités de
l’interprète. Une autre heureuse surprise nous attend avec
ces deux duos permettant enfin aux voix de se mêler
harmonieusement, c’est le cas de le dire. Bienvenu
également est le bref ensemble final, couronnant un peu
rapidement le plus bref acte troisième (35 minutes).
Outre le charme particulier de l’inspiration de Pergolesi, il
arrive que l’on découvre au détour d’un air,
comment dire ?… certains accords à l’étrange élégance moderne, c’est-à-dire des tonalités créatrices d’atmosphères, de brefs instants musicaux,
ou des impressions que l’on retrouve dans la musique
d’opéra du XIXe siècle, sous la plume de dignes
successeurs-magiciens nommés Bellini, précisément,
mais aussi Donizetti et Verdi.
Les interprètes
Dans cette galerie de personnages ultra-travestis
(le rôle du castrat est repris par un soprano !), on peine
parfois à distinguer qui chante quoi. Les timbres pulpeux des
mezzo-sopranos (Marina Comparato et Lucia Cirillo) se ressemblent et ressemblent même par moments à ceux, pourtant plus frais ou fruités des sopranos (Nicole Heaston ou Francesca Lombardi). Il est vrai que le troisième soprano, Olga Pasichnyk, se reconnaît par les sauts périlleux vers le suraigu que le bon Pergolesi avait prévu pour Cafariello.
L’unique voix masculine de la distribution est celle du ténor Carlo Allemano
au timbre « blanc » mais sombre (ce n’est
pas une opposition en matière de voix !) et dont on coupe
même un air (au troisième acte). Sans revenir sur la
« verdeur » des instruments de
l’« Accademia Bizantina », on peut
souligner la belle continuité entre récitatifs et airs
probablement due au fait que le chef Ottavio Dantone
était « Maestro al cembalo », selon
l’expression consacrée, c’est-à-dire
claveciniste-chef d’orchestre. Il expliqua du reste par
téléphone combien il appréciait cette
manière de vivre l’opéra de
l’intérieur…
Yonel Buldrini
nov 2007
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VII FESTIVAL PERGOLESI SPONTINI
ADRIANO IN SIRIA
« Dramma » en trois actes sur un livret de Pietro Metastasio
Musique de Giovanni Battista Pergolesi
Créé au « Teatro San Bartolomeo » de Naples, le 25 ottobre 1734
Farnaspe : Olga Pasichnyk
Adriano : Marina Comparato
Emirena : Lucia Cirillo
Aquilio : Francesca Lombardi
Sabina : Nicole Heaston
Osroa : Carlo Allemano
Accademia bizantina
Ottavio Dantone « direttore al cembalo » (claveciniste-chef d’orchestre)
(Mise en scène de Ignacio Garcia)
Enregistré les 7 et 9 septembre 2007 au « Teatro Pergolesi » de Jesi
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Notes
(1)
Parmi les compositeurs d’autres Adriano in Siria, les moins
oubliés sont : Egidio Romualdo Duni (1735), Baldassare
Galuppi (1740, refait en 1758), Johann Adolf Hasse (1752), et
même (pourquoi pas) Johann Christian Bach (1765), Pietro
Alessandro Guglielmi (1265) et Pasquale Anfossi (1777).
(2) Renseignements apportés par
Marina Vaccarini in : Dizionario dell’opera
Baldini&Castoldi s.r.l., Milano 1996.
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