Il
vient d'incarner la soeur adultèrine des Tri Sestri d'Eötvös
à la Monnaie, on l'a aussi connu en esthète gay (Medea
de Lierbermann), en petit marin type boysband (Agrippina) et en
amoureux pourfendu (Luci mie traditrici de Sciarrino.) Lawrence
Zazzo, Larry pour les intimes, est un contre- ténor plein
d'imagination dont la voix fait frémir plus d'une minette. Je l'ai
rencontré dans une gargotte enfumée où il buvait un
thé pour soulager ses cordes vocales ébranlées par
un rhume... le pauvre !
Le public belge vous
a découvert en Ottone dans l'Agrippina de Händel mise
en scène par David Mac Vicar et dirigée par René Jacobs.
Pouvez- vous me parler de cette expérience ?
Elle a été
très excitante du début des répétitions à
la fin des représentations. La relation entre René Jacobs
et David MacVicar était assez orageuse, mais de manière relativement
positive, dans le sens où ils étaient très solidaires
l'un envers l'autre. Ils savaient exactement ce qu'ils voulaient et ils
ont dû pas mal négocier avant d'arriver à un résultat
qui les accommodait tous les deux. Tenez, par exemple, cette fameuse scène
du clavecin- bar où Poppea se met à chanter à côté
du clavecin: David ne connaissait pas l'air qui est issu de Rinaldo
et qu'on ne retrouve que dans une seule version d'Agrippina. René
a vraiment dû insister pour qu'on l'insère, au grand désespoir
de David qui ne savait vraiment pas quoi faire d'un air de plus. Pour finir
il a lancé l'idée de mettre le clavecin sur scène.
Comme vous l'avez vu, c'est une proposition qui a donné un résultat
explosif.
A propos de René
Jacobs, on vous voit beaucoup à ses côtés, mis à
part Agrippina il y a eu cette Griselda crée à
Berlin puis reprise à Paris. Vous avez une relation privilégiée
avec lui ?
René Jacobs est un
homme qui connaît scrupuleusement son métier et celui des
chanteurs... et pour cause, il est contre-ténor lui-même.
Ce qui est très important avec lui c'est qu'il est un des premiers
chefs a véritablement comprendre que la licence fait partie intégrante
de la musique ancienne. Sans une part d'improvisation, de fantaisie, elle
n'est pas aussi intéressante. Je me réjouis de reprendre
Agrippina
à La Monnaie et au TCE pour une longue série de représentations.
Tout autre chose: on vous
a vu dans Tri Sestri d'Eötvös mais aussi dans Luci
mie traditrici de Sciarrino et dans la Medea de Rolf Liebermann
il y a à peine un mois, à l'opéra de Paris. Seriez-
vous un contre- ténor contemporain ?
Vous savez, le répertoire
de contre- ténor est infiniment mince, quand on écarte la
musique ancienne qui n'a pas été écrite pour des falsettistes
mais pour des castrats on se retrouve face à des oeuvres modernes.
D'ailleurs, si je ne m'abuse, le premier vrai rôle écrit pour
un contre- ténor est celui d'Oberon dans A midsummer's night
dream, oeuvre qui date de 1966 ! Moins de quarante ans pour se construire
un répertoire, c'est peu. Je chante donc beaucoup de musique ancienne,
mais ma voix n'est qu'un compromis avec une habitude musicale disparue.
Vous savez, je ne suis pas un grand spécialiste de musique contemporaine,
par exemple quand j'ai entendu les Trois Soeurs pour la première
fois je n'ai pas du tout accroché. Je suis admiratif devant les
gens qui sont capables de crier au chef d'oeuvre après une seule
écoute. Quoi qu'il en soit, à force de répéter
et d'entendre l'oeuvre on en découvre la structure, qui est admirable.
Sciarrino et Liebermann c'est encore autre chose : d'abord Sciarrino écrit
une musique incroyablement étrange, de l'inédit. Son écriture
vocale en forme de vocalise montéverdienne accélérée
est un point de repère rare, car il n'y a pas pléthore d'oeuvres
modernes qui font véritablement appel à la vocalise, sinon
sous forme de pastiche. Puis le travail de mise en scène réalisé
par Trisha Brown a été véritablement épatant.
Quant à Medea, ça a aussi été très
intéressant, j'ai beaucoup apprécié cette confrontation
permanente entre l'orient et l'occident. Dommage qu'une certaine presse
n'ait été capable que de se demander si c'était bel
et bien le premier opéra gay de l'histoire. On s'en fout !
Parlez- moi de votre expérience
sur Tri Sestri.
J'adore travailler avec le
compositeur, c'est comique de voir quel recul ces gens ont par rapport
à leur partition. Pour eux l'exécution correcte d'une note
est souvent moins importante que l'intention dramatique. J'avais plein
de questions à poser à Peter Eötvös, d'ailleurs
il m'en reste encore des tas, je devrais les écrire et les lui envoyer,
parce que si je lui demande tout ça de visu, ça va ressembler
à une interview (rires.)
Pour terminer: les trois
soeurs sont trois hommes, deux contre- ténors et un sopraniste.
Qu'est ce que ce choix apporte à l'oeuvre, d'après vous ?
Oh c'est une question qu'il
faudrait poser au compositeur ! D'après- moi c'est une question
de situation avant tout: ces trois femmes - face à des militaires
qui s'encroûtent dans leur retraite - sont, dans leur courage, dans
leur force, beaucoup plus masculines que les personnages masculins. Un
critique russe avait eu cette phrase qui me semble primordiale: "En matière
d'opéra tout est question de défamiliarisation." Alors voilà:
perdre de vue certains archétypes, accepter l'inhabituel, bouleverser
les genres, ça me semble important.
Propos recueilis
par Camille de Rijck