Akitté à
l'unanimité du jury
Dans la foulée de la création
de Perelà, l'Opéra de Paris proposait au public la
reprise du K... de Philippe Manoury, donné pour la première
fois il y a deux ans.
En adaptant Le Procès,
Philippe Manoury prenait, certes, le risque de décevoir par comparaison
avec le roman original.
D'un autre côté, les
compositeurs contemporains ont parfois oublié que pour réussir
un opéra, la meilleure musique du monde ne suffit pas sans un livret
qui propose des situations dramatiques et une véritable progression
psychologique des personnages, ce qui est bien le cas du chef-d'oeuvre
de Franz Kafka.
La réussite de l'oeuvre de Manoury
réside dans l'alliance d'une musique inspirée et d'un livret
prodigue en situations fortes.
Musicalement, l'écriture semble
tout d'abord s'inscrire dans la filiation de Berg (l'usage de la langue
allemande renforçant d'ailleurs cette impression). Passée
cette première impression, l'écoute révèle
une authentique originalité tant du point de vue mélodique
que technique.
La moindre des surprises n'est pas,
en effet, que cette musique ne refuse pas l'inspiration mélodique
: je n'irai pas jusqu'à dire que je siffloterais la partition de
mémoire dans ma baignoire, mais on a quand même entendu des
oeuvres d'un abord plus difficile. La musique de Manoury m'a paru plus
immédiatement accessible que celle de Lulu, d'Erwartung
ou des Soldaten (sans préjuger en rien des qualités
respectives de ces ouvrages).
L'autre originalité, technique
celle là, réside dans l'emploi des effets acoustiques et
électroniques. Si cette pratique n'est pas nouvelle (pensons aux
Soldaten
justement), elle a rarement atteint un tel aboutissement. Les effets ne
sont pas un contrepoint à la musique jouée par l'orchestre,
mais s'intègrent parfaitement à la composition. Le traitement
ne refuse pas un certain humour : ainsi de l'utilisation du bruit des machines
à écrire qui crépitent comme des claquettes sur une
scène de Broadway.
J'ai été moins convaincu
par l'utilisation de l'amplification des voix dans la scène de la
cathédrale : de ma place, celle-ci m'a paru plutôt insuffisante
et j'ai d'abord cru que Gregory Reinhart était un peu ... aidé.
Autre atout, le rythme : douze scènes
qui, assemblées sans entracte, ne pèsent pas plus d'une heure
quarante; c'est dire la concision du drame qui renforce l'impression d'enchaînement
irrépressible des événements.
Dans le personnage de K, Andreas Scheibner
reprend le rôle qu'il avait créé voici deux ans : le
chanteur est bon, même si le timbre n'est pas exceptionnel; l'acteur
lui, est exceptionnel et sait, sans forcer le trait, faire évoluer
graduellement son personnage : on passe ainsi de l'autorité assurée
et un peu raide du début à l'abattement résigné
de l'individu traqué et déshumanisé. Brillant.
Dans le rôle de Titorelli, on
retrouve avec plaisir le vétéran Kenneth Riegel au sommet
de sa forme : l'acteur est toujours aussi bon et la voix (peu épargnée
par des rôles meurtriers pourtant) a plutôt bonifié
avec l'âge, nous gratifiant d'aigus puissants.
Robert Wörle, dans le rôle
de l'Oncle, et Jeanne-Michel Charbonnet dans celui de Leni (entendue récemment
en Médée de Liebermann), sont également impressionnants.
Tous les rôles seraient à
citer tant ils sont bien tenus.
Un bémol toutefois au sujet
de la prestation de Laurent Naouri dans le rôle de l'Avocat et du
Directeur : certes, le niveau reste très bon, mais à la longue,
cette tendance à "sur articuler" le texte, associée à
une gamme limitée d'expression et une couleur de voix assez uniforme,
finit par être lassante.
Enfin, la voix de Gregory Reinhart,
artiste autrefois prometteur, m'a semblé quelque peu délabrée
: c'est certes moins gênant ici que dans Guillaume Tell (où
il n'assurait pas toutes les notes écrites).
La mise en scène d'André
Engel n'appelle que des éloges : on a l'impression d'un spectacle
rodé par des mois de représentations tant tout tombe naturellement
(si j'ose dire, c'est réglé comme du papier à musique
!).
Les très beaux décors
de Nicky Rieti restituent bien le design et l'ambiance de l'époque
du roman (et pour une fois à Bastille, pas de décor unique
!), ils contribuent également à la complète réussite
de ce spectacle.
Et le public ?
Tarifs promotionnels, sorties scolaires,
réductions pour militaires et bonnes d'enfants (l'Opéra de
Paris n'a pas chômé pour remplir !), sans compter ceux pour
qui "c'était dans l'abonnement" ... si la salle est quasiment pleine,
une bonne partie de l'assistance était un peu là par hasard.
L'accueil enthousiaste au rideau final
n'en est que plus gratifiant : l'oeuvre a su toucher des spectateurs majoritairement
novices (pour quelques dizaines d'adolescents, c'était d'ailleurs
le premier ouvrage lyrique auquel ils assistaient).
Placido Carrerotti