ACIS, GALATEE ET
LA COLERE DU CIEL...
"Haendel est
le maître inégalable de tous les maîtres !
Allez-y, et apprenez à
produire d'aussi grands effets avec aussi peu de moyens".
Ludwig van Beethoven
Le Perche est une région verdoyante
où il pleut beaucoup... Pourtant, depuis cinq ans déjà,
la courageuse équipe qui anime ces manifestations à la Pellonnière
a pris l'initiative - hasardeuse quand on connaît le climat de la
région - de donner chaque année, en plein air, un "opéra
de poche" dans la splendide cour d'honneur du château.
(Le Château de la Pellonnière)
Il y a deux ans, les cieux bienveillants
avaient permis que se déroule un très beau Dido and Aeneas,
dans des conditions idéales : ciel bleu étoilé et
vent, certes un peu frais.
L'an dernier, lors d'un été
exécrable, les ennuis avaient déjà commencé
avec un superbe Demetrio e Polibio de Rossini. Sur décision
des organisateurs, prise deux jours avant le concert, il fut néanmoins
donné, dans l'église du village, avec une mise en scène
et des éclairages aménagés pour la circonstance. Cette
année, canicule oblige, on était en droit d'attendre des
conditions optimales. Hélas, trois fois hélas, la température
ayant chuté brutalement, la pluie est arrivée : ce soir-là,
précisément elle se mit à tomber au moment où
le spectacle allait commencer ! Attente sous les parapluies, ouverture
jouée par l'orchestre pendant une accalmie, entrée du premier
protagoniste et de nouveau, pluie...
Par égard pour les instruments
et en particulier le clavecin, il fallait prendre une décision.
Le repli dans l'église pour une version de concert fut voté
à l'unanimité par le public venu en grand nombre et très
enthousiaste.
On ne saura donc pas ce qu'était
la mise en scène de Ruth Orthmann, élève d'Antoine
Vitez et assistante d'André Engel, qui avait choisi de situer l'oeuvre
à notre époque, dans une maison de campagne, où séjourne
pendant l'été, entouré de ses amis, le couple de bergers
amoureux formé par Acis et Galatée. Côté décors,
les meubles de jardin en teck et paille tressée, très "bobos",
les chaises longues, installés sur une scène avec pour toile
de fond des rosiers anciens, une jolie porte et les murs d'un très
vieux château (le décor naturel de la Pellonnière,
bien sûr), la crème solaire et les serviettes de bain éparpillées,
les drinks présentés sur un bar, faisaient penser à
la terrasse d'une belle propriété : un lieu parfait pour
une villégiature...
Oui, mais voilà, les cieux en
ayant décidé autrement, ce fut une vraie version de concert
que nous entendîmes, sans éclairages particuliers - église
illuminée a giorno - les chanteurs ayant malgré tout
conservé leurs costumes, "branchés années soixante",
un peu décalés...
Cela ne dut pas être facile de
s'extraire totalement de la mise en scène pour se replonger dans
une version de concert, plus traditionnelle. Dans l'ensemble, il faut reconnaître
que les interprètes s'en tirèrent tous plutôt bien,
très bien même, compte tenu des circonstances.
Béatrice di Carlo, au timbre
rond et fruité, a campé une belle Galatée, nonobstant
peut-être un certain manque de poésie, ces imprévus
l'ayant probablement quelque peu perturbée. Le ténor brésilien
Marcio Soarès-Holanda (Acis) est doté d'une jolie voix, certes
peu puissante, mais son chant s'est avéré très musical
et stylé.
La basse Rémi Cotta (Polyphème)
s'est distinguée des autres solistes par une belle égalité
de timbre, l'autorité de son interprétation, servie par une
réelle présence. Également danseur, il n'avait pas
l'air particulièrement déstabilisé par les changements
de dernière minute. Il doit en tout cas être habitué
à passer du chant à la danse, voire à conjuguer les
deux, puisqu'il se produit aussi dans des comédies musicales.
Par contre, Thierry Maraldo (Damon),
malgré un timbre de baryton assez séduisant, eut, surtout
au début du concert, quelques problèmes de legato
et de justesse, qui s'atténuèrent au fil de la soirée.
L'ouvrage fut donné dans sa
version originale (1718) et donc dans un cadre similaire à celui
de sa création, puisqu'il fut donné pour la première
fois au château du duc de Chandos, qui en était le commanditaire.
Il s'agit de la seule oeuvre dramatique éditée du vivant
du compositeur, et précisément l'une des plus jouées,
comme Le Messie, sans discontinuer depuis près de trois siècles.
Le choeur et l'orchestre, réduits
au minimum - 4 pour les choristes, 8 pour les instrumentistes - sont d'une
grande richesse sonore, surprenante pour un tel effectif. Comme toujours,
Jacques Gandard et sa Camerata à la Française font merveille
: il s'agit quasiment d'un "orchestre de solistes", car à part les
violons et les hautbois, au nombre de deux, il n'y a en effet qu'un instrument
par pupitre. Un seul chanteur assure également chaque partie du
choeur, d'ailleurs avec beaucoup de talent.
Grâce à ce travail de
chambristes accomplis, l'absence de mise en scène se fit moins cruellement
sentir, la musique de Haendel nous étant restituée dans toute
sa splendeur et sa suavité. Espérons qu'à l'avenir,
les cieux seront plus cléments et que les dieux, sans doute outragés
par le sort cruel d'Acis - il est changé en ruisseau ! - adouciront
les effets de leur colère.
Juliette BUCH