Il est difficile de juger
musicalement l'Aïda montée au Stade de France : la sonorisation
donne une résonance curieuse, réverbérée, aux
timbres des voix, et les fait un peu flotter, rendant une sensation d'imprécision,
encore aggravé par des décalages entre chanteurs et orchestre.
Il faut dire que ceux-ci se trouvent à plusieurs centaines de mètres
les uns des autres, ce qui ne doit guère faciliter les choses ...
De plus, cette sonorisation
semble empêcher les artistes de chanter autrement que mezzo-forte
: Pas ou peu de nuances, donc, dans l'interprétation.
La distribution, homogène,
est dominée par l'Amneris de Nadja Michael, beau timbre, belle présence
vocale. L'Aïda d'Olga Romanko, si elle maîtrise les écueils
techniques du rôle (mais peut-on juger le contre-ut de l'air du Nil
filtré par les haut-parleurs ?) reste trop placide, et ne fait pas
vivre son personnage. Ignacio Encinas en Radames est le hurleur de service,
même avec un micro, et pas toujours très juste de surcroît.
L'Amonasro de Franz Grundheber offre parfois de beaux moments, malheureusement
gâchés par de soudaines intonations véristes. Passons
sur le cas de ce pauvre messager, plus préoccupé de tenir
en selle sur son cheval que par la qualité de son chant !
Quoiqu'il en soit, et même
si cette curieuse réverbération donne quelquefois l'impression
d'écouter un disque, et si le grondement continuel de l'autoroute
qui longe le Stade de France se laisse difficilement oublier, la musique
n'est pas - comme on pouvait le craindre - massacrée. On assiste
même quelquefois à de jolis moments.
On ne peut reprocher aucune
faute de goût à la mise en scène de Petrika Ionesco,
grandiose comme il se doit, et qui évite habilement le kitsch. Comme
il était promis, chevaux, chameaux, figurants nombreux, feux d'artifice
concourent à un spectacle majestueux.Ý
Le décor représente
l'Egypte au temps des pharaons, et toute une foule de petites gens qui
vaquent à leurs occupations quotidiennes : les femmes lavent leur
linge dans le Nil, les enfants jouent, les soldats font des manoeuvres.
C'est joli, agréable à regarder. Le choix délibéré
du non-ostentatoire conduit quelquefois à des options surprenantes
: ainsi les chameaux passent-ils discrètement en fond de scène
pendant l'air du Nil et ne reviendront plus, et les chorégraphies
sont-elles un peu simplettes.
Là où le bas
blesse, comme souvent lorsqu'il s'agit d'Aïda, c'est que le spectacle
n'est conçu qu'en fonction des scènes de foule, dont bien
entendu celle du fameux triomphe avec trompettes obligées. Un effort
est fait pour rendre vivantes les scènes intimistes, mais comment
s'intéresser aux tourments de personnages qui ne mesurent pas plus
que trois ou quatre centimètres, et dont on ne voit jamais le visage
? C'est ainsi que le duo du Nil laisse plus ou moins indifférent.
De plus, la taille du plateau oblige souvent les interprètes à
passer d'un lieu à un autre en courant, ce qui finit par leur donner
un petit coté ridicule.
Un récitant vient
expliquer l'action entre chaque scène. S'agissant d'une production
destinée aussi bien à des néophytes qu'à des
habitués de l'opéra, ce n'est pas vraiment choquant, d'autant
plus que le texte est court et sobre. Cependant, les deux écrans
géants situés de chaque coté des gradins auraient
pu servir à faire défiler une traduction du livret, ou bien
à nous montrer les visages des chanteurs qui manquent pour faire
vraiment vivre les personnages.
En définitive, il
est tout à fait possible de passer une bonne soirée en assistant
à ce spectacle, à condition d'oublier qu'on assiste à
un opéra. Il vaut mieux y venir dans le but d'admirer un péplum
spectaculaire ou un fastueux spectacle de marionnettes.
Catherine Scholler