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LONDRES
16/11/2007
Elisabetta Fiorillo / Roberto Alagna
© Antonio Bofill
Giuseppe VERDI (1813-1901)
AIDA
Opéra en 4 actes
livret d’Antonio Ghislanzoni
d’après un scénario d’Auguste Mariette
Traduction anglaise : Edmund Tracey
Mise en scène, Jo Davies
Décors et costumes, Zandra Rhodes
Éclairages, Bruno Poet,
Aïda : Claire Rutter
Amnéris : Jane Dutton
Radamès : John Hudson
Amonasro : Iain Paterson
Ramfis : Brindley Sherratt
Le Roi : Gwynne Howell
Un messager : Andrew Rees
Une prêtresse : Sarah-Jane Davies
Orchestre et chœurs de l’ENO
Direction musicale : Edward Gardner
Production sponsorisée par Lord et Lady Laidlaw et les Amis de l’ENO
Coproduction avec le Houston Grand Opera,
le Norwegian National Opera et le San Francisco Opera
English National Opera, London Coliseum le 16 novembre 2007
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Le Coliseum de Rhodes
Londres est maintenant à deux heures quinze de Paris par
St-Pancras, mais Londres est aussi en ce moment à l’heure
égyptienne… Car King Tut est de retour, cette fois
à l’ancien Dôme du Millenium rebaptisé
« The O2 » ! Les boutiques regorgent de livres
à son effigie, une pyramide (toute provisoire) a même
été édifiée en son honneur à Hyde
Park, et pour compléter le programme, l’ENO
présente au théâtre du Coliseum une nouvelle
production d’Aida qui n’y avait pas été
jouée depuis 1979. Entre temps, bien sûr, Aida a
été donné à Covent Garden, ainsi qu'au
Royal Albert Hall, « in the circle », en italien
ou en anglais. Dans le cas présent, il s’agit d’une
représentation en anglais, comme il est de tradition à
l’ENO.
La querelle des versions originales ou traduites dans la langue du pays
semble être, à travers le monde, quasi
définitivement close, surtout depuis l’apparition des
surtitres. L’Opéra-Comique à Paris a
présenté des versions françaises
jusqu’à l’ère Lieberman. L’ENO, parmi
quelques autres théâtres européens, est donc un des
tenants de ce vieux principe : querelle que l’on ne vas pas
rouvrir ici, d’autant qu’à l’époque de
Verdi lui-même, ses opéras étaient chantés
dans la langue du pays où avaient lieu les
représentations. Mais malgré tout, ça fait quand
même un peu curieux d’entendre « Ah, father, father
», surtout si un « padre » rejaillit
subrepticement entre plusieurs fathers, chassez le naturel… De
fait, la version anglaise d’Edmund Tracy est plutôt bien
écrite, mais n’arrive pas à évoquer la
musicalité de la langue italienne. Alors qu’il existe au
disque plusieurs intégrales anciennes d’Aida en allemand,
il n’en existe qu’une en anglais, assez récente,
avec Jane Eaglen (Chandos, 2002).
Si vous vous intéressez tant soit peu à la mode, le nom
de Zandra Rhodes ne peut vous être étranger. Elle est
certainement l’un des grands couturiers anglais les plus connus,
et s’était déjà inspirée de
l’Égypte antique pour l’une de ses collections au
milieu des années 80. Prendre un designer de mode pour
présenter l’œuvre sous un angle nouveau est une
excellente idée, et sa participation est donc annoncée
comme le point fort de la production ; de fait, on n’est pas
déçus, on en a plein les mirettes ! Mais tant en ce
qui concerne les décors que les costumes, ils ont pour point
fort une originalité et une variété de couleurs
telles qu’ils peuvent, in fine, desservir le jeu des acteurs.
John Hudson et Gwynne Howell © ENO et Tristram Kenton
Les décors, tout d’abord, sont à la fois originaux
et d’une grande économie de moyens. Tout est conçu
à partir de toiles peintes, qui interprètent efficacement
l’Égypte ancienne tout en permettant des changements de
décors relativement rapides. Sur le rideau de scène
transparent sont disposés, de part et d’autre de la forme
d’une pyramide, des caractères adaptés des
différentes graphies cursives de la langue égyptienne
ancienne, jusqu’à faire penser à des
caractères de la langue arabe. Au début et à la
fin de la représentation, la pyramide est omniprésente,
créée à des tailles variant à vue par des
croisements de rideaux ; le reste du temps, l’œil
oudjat surveille l’action, dès le début en bleu,
puis en jaune, avant de devenir décor lui-même et occuper
toute la scène au moment du procès ; les rayons du
soleil, enfin, sont également plusieurs fois présents. On
regrette des éclairages souvent faibles au début, et
l’utilisation bien archaïque de poursuites ;
après, les choses s’arrangent.
Pour les costumes, comme le soulignait l’égyptologue
Auguste Mariette, auteur du scénario d’Aïda,
« C’est surtout là que nous rencontrerons de la
difficulté. Faire des Égyptiens de fantaisie comme ceux
qu’on voit habituellement au théâtre n’est pas
difficile (…). Un roi peut être très beau en granit
avec une énorme couronne sur la tête ; mais
dès qu’il s’agit de l’habiller en chair et en
os et de le faire marcher, et de le faire chanter, cela devient
embarrassant, et il faut craindre de… faire rire ».
Ici, pas de problème, à part les coiffures
pseudo-némès portées par des figurants et la barbe
pharaonique postiche qu’arbore Radamès, rien
n’est risible. Le jeu des couleurs est globalement
remarquable et, pris individuellement, chaque costume est fort
beau et très évocateur, complété par des
signes peints appliqués sur le crâne ou le visage. Le
costume le plus réussi : le Grand prêtre ; le
plus drôle : Amonasro, avec un bouquet de plumes
multicolores plantées dans un toupet de cheveux relevés
sur le sommet de la tête ; la plus mal fagotée :
Aïda (mais est-elle habillable ?) ; on retiendra sa robe
noire arabisante du 3e acte qui a des reflets argentés et
dorés au clair de lune. Quant à Amnéris, elle est
habillée façon Laura Ashley, tissu campagnard
relooké pour soirée mondaine.
Tout cela manque donc véritablement d’unité de
style : à côté de l’inspiration
pharaonique, on retrouve un peu tout et n’importe quoi, et
même si ce n’est pas voulu, on pense à des
inspirations arabisantes et africaines, à d’autres venues
de Bali (danses dans les appartements d’Amnéris), à
la Chine de Mao avec les drapeaux rouges et bleus dont les
hiéroglyphes remplacent les caractères, au Japon avec les
grandes jupes à la Bob Wilson, et même à la Russie
(genre Boris) avec les tuniques des prêtres coiffés de
têtes de vautour pour le procès (on comprend
l’allusion)…
Iain Paterson et Claire Rutter © ENO et Tristram Kenton
On ne vient pas à l’ENO pour entendre les plus grandes
voix du moment. Simplement, la qualité musicale est toujours au
rendez-vous, et les prestations vocales toujours de qualité. La
direction d’orchestre est ici excellente, malgré quelques
tempi un peu lents par moment. Vocalement, tous les chanteurs assurent
un niveau plus qu’honorable, se riant des embûches de la
partition. Bien sûr, d’aucuns diront que le ténor
abuse un peu de la voix de tête, d’autres que la mezzo a
trop écouté Cossotto, et que la soprano a une voix un peu
métallique au début et ne se donne vraiment
qu’à partir du 3e acte, mais qu’importe, les nuances
sont là, le phrasé s’accommode tant bien que mal de
la langue anglaise, on apprécie une grande
homogénéité des voix et, musicalement, le
spectacle marche bien. Cela étant d’autant plus
méritoire que, pour la majorité des rôles
principaux (Claire Rutter, Jane Dutton, Brindley Sherratt et Iain
Peterson), il s’agit d’une première prise de
rôle. Quant aux chœurs, ils sont également
excellents et d’une grande clarté, notamment pendant le
procès.
Il s’agit donc d’une production très brillante et
séduisante, et que le public a l’air
d’apprécier ; pourquoi alors ne m’a-t-elle pas
totalement convaincu ? Je pense que cela vient essentiellement de
la mise en scène et de la conduite d’acteurs, meilleure
dans les scènes de confrontations (duos et trios) que dans les
scènes de groupes. Il y a surtout un trop grand décalage
entre la qualité de la production scénique et une mise en
scène trop brouillonne par moments, et globalement sans vraiment
d’invention. Bien sûr, on sourit à observer les
choristes indisciplinés et bavards pendant la scène du
Triomphe, mais on ne leur en veut pas, car ils ont tous l’air de
si bien s’amuser, d’être si contents
d’être là et de chanter Aida ! Mais ils donnent un
peu l’impression de jouer une opérette, or Verdi
n’est pas Guilbert et Sullivan…
© Photo Jean-Marcel Humbert
Et puis, on est vraiment au premier degré, avec Claire Rutter
qui joue dans le style des années 20, un peu comme Theda Bara
dans Cléopâtre. Quant à Jane Dutton, elle doit
être d’un heureux caractère, car elle rigole presque
tout le temps, donnant ainsi l’impression qu’elle est
très contente des événements, et qu’elle
trouve tout ce qui se passe très amusant (genre marionnette de
Roseline Bachelot chez les Guignols de l’Information). La
première dame de sa maison est également très
drôle, menant son monde façon cheftaine girl-guide. Mais
tout ça, pour distrayant, ne fait pas un grand spectacle.
Alors justement, question grand spectacle, parlons-en. Le triomphe est
un modèle du genre : on a droit à des danses
acrobatiques avec danseuses grassouillettes et ensembles gymniques.
Puis se déroule une pantomime présentée devant la
cour assemblée, relatant la victoire de Radamès sur les
« bons sauvages » (comprenez les méchants
Éthiopiens) : l’idée est intéressante,
mais la réalisation trop simpliste n’emporte pas vraiment
l’adhésion. Le Radamès dansant, coiffé
d’un genre de Khépresh, la coiffure de guerre des
pharaons, est également acrobate, et voltige et tourne sur une
main ; après un simulacre de lutte entre lui et les
Éthiopiens (plutôt marrants, du genre Deschiens), il gagne
finalement contre tous ses adversaires. Reste l’arrivée du
vrai Radamès juché sur un éléphant bleu
clair figuré par des oreilles, une tête et des
défenses tenues par des danseurs, le tout sous une pluie de
confettis. Éléphant, confettis : on retrouve
exactement le même mauvais goût qu’à
Vérone l’été dernier (et puis ensuite, il
faut balayer tout ça ! Ce qui occupe deux machinistes
pendant l’entracte).
Donc, en conclusion, un spectacle de qualité, qui aurait eu
besoin d’un metteur en scène plus inventif et exigent et
de quelques répétitions supplémentaires. Mais
qu’il faut avoir vu pour les décors et les costumes de
Zandra Rhodes. Et si cela ne vous est pas possible, vous trouverez sur
le site Internet de l’ENO un personnage que vous pourrez vous
amuser à habiller à votre guise avec les costumes de
Zandra Rhodes, avant de l’envoyer à qui vous
voudrez…
Jean-Marcel HUMBERT
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