DÉSERT CULTUREL
Pour cette reprise du spectacle coproduit
avec le Théâtre de la Monnaie, le Royal Opera House ne s'est
guère posé de questions : la distribution, hormis les seconds
rôles, est absolument identique à celle proposée à
Bruxelles en janvier 2002 (voir la critique de Camille
de Rijck).
Pourtant, compte tenu de cette expérience,
on aurait pu espérer que le théâtre londonien fasse
appel à des chanteurs moins contestables, d'autant que Covent Garden
est d'un tout autre volume que le théâtre bruxellois ; encore
faut-il en trouver qui acceptent de se plier aux règles contraignantes
de la scénographie wilsonienne...
Norma Fantini est ici une sous-Freni
égarée en Aida, c'est-à-dire pas grand-chose, l'authentique
Mirella étant déjà elle-même égarée
dans cette oeuvre. Tout ça demeure bien chanté, reste qu'on
a ainsi constamment l'impression d'entendre Susanna des Nozze dans
une adaptation de Verdi : heureusement que l'acoustique du Royal Opera
est particulièrement favorable aux voix.
Avec Ildiko Komlosi, elles font la
paire : inutile de dire que les duos sont bien équilibrés
! Volume confidentiel, aigus peu puissants, cette fois c'est la Rosine
du Barbiere, là encore plutôt correctement chanté.
Johan Botha est un cas : voilà
un chanteur qui, lui, dispose de réel moyen pour ce rôle.
Nous passerons sur la présence physique (le costume taillé
sur mesure par Camille de Rijck continue à lui aller comme un gant)
: même dans une mise en scène de Bob Wilson, on peut espérer
un visage qui, de temps à autre, semble exprimer des émotions.
Vocalement, malgré un timbre
un peu ingrat et passe-partout, Botha livre un Radames très correct,
tant que l'aigu n'est pas sollicité ; en effet, dès qu'elle
atteint le haut médium, la voix se fait de plus en plus nasale,
le "si" est totalement placé dans le masque, perdant toute projection
: les notes sortent mais sans produire cet effet purement physique qu'on
est en droit d'attendre.
Mark Ross est, comme à Bruxelles,
un Amonasro fruste, mais impressionnant : ce n'est pas raffiné,
mais ça réveille !
Carlo Colombara, nouveau venu par
rapport à la précédente édition, est un Ramfis
digne et bien chantant, un peu limité en volume également.
Enfin, Graeme Broadbent, James Edwards
et Victoria Nava complètent avec talent la distribution (à
noter que ces deux derniers artistes font partie du programme sponsorisé
par le mécène Eduardo Vilar, enfin, quand il avait encore
de l'argent).
Dans cette ambiance très "salon
de thé", on pouvait craindre une direction d'orchestre du même
tonneau : il n'en est rien, fort heureusement ! Antonio Pappano impose
une direction très dramatique, alternant les moments de violence
et les abandons élégiaques ; dommage que l'orchestre du Royal
Opera ne soit pas toujours capable de répondre à ses exigences,
comme en témoignent quelques accidents (en particulier au niveau
des violons : des attaques assez désordonnées, des difficultés
à faire vibrer les cordes dans les piani...).
La chorégraphie m'a semblé
le seul moment un peu réjouissant de la représentation :
elle est en décalage total avec l'esthétique wilsonienne,
utilisant peu ou prou le vocabulaire classique, pour des interventions
qu'on croirait sorties d'un ballet de Petipa (et j'adore Petipa, alors,
quand c'est la seule raison pour laquelle la soirée n'est pas totalement
désastreuse...).
Reste la production de Robert Wilson
: inutile de tirer sur l'ambulance, le scénographe américain
réutilise une fois de plus ses vieilles ficelles sans se soucier
véritablement de les faire évoluer pour servir l'oeuvre qu'il
met en scène. Le hasard fait parfois qu'on tombe sur un spectacle
réussi (c'était, à mon sens, le cas pour la récente
Femme
sans ombre de Bastille), ici ce n'est pas le cas. Quelques gags involontaires
viennent parfois soulever une paupière : une obélisque qui
descend des cintres tel un missile pour pulvériser une pyramide
(hélas, elle remonte avant), des rochers qui bougent tout seul...
un instant, on pense à ceux qui ont payé 180 £ pour
assister à ce spectacle médiocre, et puis on retombe dans
l'ennui.
Placido CARREROTTI