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MONTPELLIER
16/07/2007
© DR
Gaetano DONIZETTI (1797-1848)
IL DUCA D'ALBA
Opéra en quatre actes
Révision Matteo Salvi
Livret de Eugène Scribe et Charles Duveyrier
Version italienne: Angelo Zanardini
Version Concert
Amelia d'Egmont : Inva Mula
Il Duca d'Alba : Franck Ferrari
Marcello di Bruges : Arturo Chacòn-Cruz
Sandoval : Francesco Ellero d'Artegna
Daniele : Mauro Corna
Carlo : Nikola Todorovitch
Un tavernier : Karlis Rutentals (membre du Choeur de la Radio Lettone)
Orchestre National de Montpellier LR
Choeurs de la Radio Lettone
Direction: Enrique Mazzola
Montpellier, Opéra Berlioz-Le Corum
Lundi 16 juillet 2007
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Retour aux sources
Curieux destin que celui de ce Duc d'Albe
que l'Opéra de Paris avait commandé à Donizetti en
1838 et dont la création française aura finalement
été assurée par le Festival de Montpellier en ce
mois de juillet 2007. (1)
Résumons les faits (2):
tandis que Donizetti s'attelle à la composition de l'ouvrage, un
nouveau directeur arrive à la tête de l'Opéra,
flanqué de sa maîtresse, la mezzo-soprano Rosine Stolz qui
va s'opposer à la création du Duc d'Albe dont le rôle de l'héroïne devait échoir à sa rivale, la soprano Julie Dorus-Gras (3). Le projet, pourtant fort coûteux, fut donc abandonné et Donizetti n'acheva jamais sa partition.(4)
En 1881, l'éditrice Giovannina Strazza achète le
manuscrit et confie à Matteo Salvi, ancien élève
de Donizetti, le soin de le compléter sous la houlette de trois
éminents musiciens, dont Amilcare Ponchielli, tandis que
l'adaptation en italien du livret de Scribe est confiée à
Angelo Zanardi.
Salvi ne se contente pas d'orchestrer les parties manquantes à
partir des ébauches laissées par son maître, il
remanie également les deux actes qui étaient
achevés et compose des pages de son crû. Ainsi, l'air du
ténor au début du quatre, "Angelo casto e bel", est
probablement de sa main, Donizetti ayant utilisé l'air original
dans La Favorite.
Il Duca d'Alba est
finalement créé à Rome en 1882 avec un
énorme succès. Il connaîtra de nombreuses reprises
avant de sombrer dans l'oubli, jusqu'à ce que le chef Fernando
Previtali tombe par hasard sur la partition dans un marché aux
puces romain, et décide de la diriger, en concert, dans une
version réduite à trois actes, en 1952. Un autre chef,
Thomas Schippers, remanie à son tour l'orchestration et propose
sa version de l'oeuvre à Spolète en 59. Dès lors
l'opéra sera repris sous cette forme, notamment à
Bruxelles en 1979.
A Montpellier, c'est la partition originale, celle de la
création, qui est donnée dans sa quasi
intégralité et force est de reconnaître que
l'orchestration évoque davantage la fin du dix-neuvième
siècle que les années 1830.
Enrique Mazzola © DR
L'action
se situe à Bruxelles au temps de la domination espagnole,
pendant le règne de Philippe II. Le Duc d'Albe, gouverneur des
Pays-Bas a fait exécuter le Comte d'Egmont. Sa fille, Amelia ne
songe qu'à le venger et libérer son pays du tyran qui
l'oppresse. Elle promet sa main à Marcello, un jeune
révolutionnaire épris d'elle, s'il l'aide à
accomplir sa vengeance. Avec la complicité de Daniele,
maître brasseur, et de quelques patriotes, ils préparent
un attentat qui sera déjoué par les soldats du Duc et
leur chef Sandoval. Tous sont emprisonnés à l'exception
de Marcello qui est conduit au palais ducal. Le Duc lui
révèle qu'il est son père. Marcello est
horrifié d'autant que ses amis vont être
exécutés. Il supplie le Duc de les épargner,
celui-ci accepte à condition que Marcello l'appelle
"père" ce qu'il fait au moment où la hache du bourreau
s'apprête à trancher la tête d'Amelia. Ensuite,
quand Marcello va retrouver sa bien aimée, celle-ci le repousse
avec mépris. Le dernier tableau se déroule dans le port
d'Anvers. Le Duc rentre en Espagne, il est sur le point d'embarquer
avec son fils. Soudain une jeune fille fend la foule et s'approche de
lui. Marcello, qui a reconnu Amelia, s'interpose et reçoit le
coup de poignard qu'elle destinait au Duc. Il meurt non sans avoir
demandé à son père d'accorder son pardon à
sa bien aimée.
Pour l'occasion le Festival de Montpellier a réuni une
distribution homogène, à défaut d'être
infaillible, dominée par l'exquise Amelia de Inva Mula.
Certes, la cantatrice albanaise ne possède pas exactement les
moyens d'un rôle dont la créatrice a été
également la première Elisabetta, dans la version
italienne de Don Carlos et
son air d'entrée " In sen ai mar" qui réclame davantage
de volume et un grave solide s'en ressent quelque peu mais elle en
surmonte crânement les difficultés, sans forcer, avec une
musicalité irréprochable. L'air du deuxième acte,
"Ombra paterna", lui permet en revanche de déployer un legato parfait et de superbes nuances pianissimo.
De fait, cette voix qui s'épanouit idéalement dans
l'élégie, excelle à traduire les élans
amoureux du personnage mais ne dispose pas du mordant nécessaire
pour en exalter pleinement le caractère révolté
Lauréat du concours Operalia 2005, le ténor mexicain Arturo Chacòn Cruz
possède un timbre qui ne manque pas de séduction. Ses
moyens sont ceux d'un Nemorino et le rôle de Marcello le pousse
aux limites de ses possibilités. Il relève le défi
avec panache et campe un personnage tout à fait crédible
avec une technique, certes perfectible, mais déjà bien
assurée.
Arturo Chacòn Cruz & Inva Mula © DR
Que dire de Franck Ferrari ? Les moyens sont ceux requis par le rôle mais cette musique réclame un art consommé du legato
et une ligne de chant impeccablement conduite qui font défaut au
baryton français dont l'émission en force et l'absence de
nuances ne sauraient rendre justice à la partition. Sa grande
scène du trois " Si! Colpevole fui!" et le duo qui suit avec
Marcello en font cruellement les frais. Dommage car l'engagement
dramatique est irréprochable.
Francesco Ellero d'Artegna campe un Sandoval brutal à souhait et dans le rôle du brasseur Daniele, Mauro Corna se montre particulièrement convaincant..
On a déjà dit tout le bien qu'on pense des choeurs de la Radio Lettone fidèles encore une fois à leur réputation.
Enrique Mazzola,
grand maître d'oeuvre de la soirée, porte à bout de
bras cette partition magnifique qu'il dirige avec une grande
précision et un sens aigu du théâtre tout en
ménageant les contrastes qu'elle recèle. Il exalte avec
fougue le style "Grand Opéra" de pages telles que le finale du deuxième acte et tisse un écrin délicat pour les épanchements des deux amoureux .
Le Festival de Montpellier peut s'enorgueillir une fois de plus d'avoir
permis la redécouverte d'une oeuvre majeure, d'un
intérêt musical incontestable, et bien supérieure
à d'autres opéras du Maître de Bergame, que l'on
monte pourtant régulièrement.
Christian PETER
Notes
(1) En 2005, une version en concert du Duca d'Alba figurait au programme de la saison lyrique de Radio France mais elle fut annulée pour cause de grève.
(2) Pour de plus amples détails se reporter à l'excellent dossier de Yonel Buldrini consacré au Duc D'Albe.
(3) Julie Dorus-Gras avait notamment créé les rôles d'Alice dans Robert le diable, de Marguerite de Valois dans Les Huguenots et de la Princesse Eudoxie dans La Juive. Pour Rosine Stolz, Donizetti écrira le rôle de Leonor dans La Favorite.
(4)
Notons au passage que Scribe, qui ne perdait pas le nord, ne s'est pas
gêné pour fourguer à Verdi, une quinzaine
d'années plus tard, le livret du Duc d'Albe, sous le titre Les Vêpres siciliennes
après en avoir changé l'époque, les lieux et les
personnages. Verdi, semble-t-il, ne découvrit le pot aux roses
qu'en 1882 à l'occasion de la création du Duca d'Alba.
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