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VERSAILLES
07/10/2006
Paul Agnew
© DR
Louis de Lully (1664-1734) - Marin Marais (1656-1728)
Alcide
ou Le Triomphe d'Hercule
Tragédie lyrique (1693)
Livret de Jean Galbert de Campistron (1656-1723)
Déjanire : Aurélia Legay, (dessus)
Iole : Salomé Haller, (dessus)
Aeglé, la Victoire : Stéphanie Révidat, (dessus)
L’Amour : Sophie Landy, (dessus)
Thestilis : Brigitte Balleys, (bas-dessus)
Alcide (Hercule) : Paul Agnew, (haute-contre)
Philoctète, un Guerrier : Nicolas Cavallier, (basse-taille)
Les Paladins
Les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles
(direction musicale : Olivier Schneebeli)
Direction : Jérôme Corréas
Mise en espace : Olivier Simonnet
Versailles, Opéra royal
samedi 7 octobre 2006
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Le triomphe des Paladins
Cédons un instant à la mode des
« director’s cut » avec les deux versions
de cette critique.
Version (très) courte
Et l’auditeur heureux s’éloigne à regret en
sifflotant un air dans les ténèbres versaillaises, la
main battant encore la mesure, alors que la Nuit blanche ajoute la
magie d’une Cour de Marbre ornée de palmiers à
celle de l’opéra qu’il vient de quitter.
Version longue
L’un avait du talent, l’autre héritait d’un
nom glorieux. Aussi n’y a-t-il guère de doute sur la
paternité des plus belles pages de cette tragédie lyrique
composée à quatre mains sur un livret
particulièrement indigent. Les vers maladroits de Campistron
tentent en vain d’étoffer une intrigue qui se
résume à l’amour non partagé d’Alcide
pour Iole, éprise de Philoctète. Cette idylle
déplaît souverainement à l’épouse du
demi-dieu, Déjanire, qui va chercher le secours maléfique
de Thestilis pour lui rendre l’amour du héros. Mais qui
peut se fier à une magicienne ? Alcide agonise en
revêtant un voile empoisonné lors de la
cérémonie de mariage forcé avec Iole, et doit
rejoindre Jupiter sur l’Olympe. Déjanire,
désespérée, se jette dans les bras de la mort.
Reste le couple d’amoureux, heureux.
Musicalement, la partition est fortement inspirée par les
dernières œuvres de Lully, dont Marais fut le
fidèle assistant. On retrouve des récitatifs sur des
rythmes de chaconne et une scène de folie avec une basse
continue furieuse comme dans Roland, et un acte infernal qui rappelle
fortement Armide. Toutefois, les nombreuses danses et ritournelles portent déjà un sceau plus moderne.
Jérôme Corréas se délecte visiblement
à l’idée de ressusciter la première
tragédie de Marin Marais. C’est le sourire aux
lèvres qu’il dirige ses preux Paladins et le chœur
aéré et puissant des Chantres d’Olivier Schneebeli.
Contrairement à un certain chef, Jérôme
Corréas a conservé le pompeux Prologue (bien qu’il
y manque les trompettes) et ses danses très rythmées
interprétées avec un bel allant. Certes, Olivier Simonnet
ne sait visiblement trop comment illustrer ce joyeux morceau de
bergerie royale, mais l’idée de nymphettes nymphomanes
cherchant à déshabiller les choristes masculins
détend l’atmosphère au milieu des ors de
l’Opéra royal (la scène reste tout à fait
respectable, rassurez-vous).
Tous les chanteurs prêtent une grande attention au texte et
à la prosodie, et il est aisé de suivre la
tragédie sans le livret. On sent sur la scène la
complicité d’un véritable travail
d’équipe avec un plateau convaincant et homogène.
Voilà du théâtre en musique, avec des
interprètes de chair et de sang qui se déchirent,
s’aiment, s’inquiètent, se meurent…
Salomé Haller campe une nymphe très convaincante,
malgré ses aigus toujours légèrement acides. Sa
confidente Aeglé trouve une interprète charmante en
Stéphanie Révidat, tandis que son amant (dans
l’opéra) Nicolas Cavallier possède des graves
chaleureux et une émission très sûre. S’il
faut un peu de temps à Aurélia Legay pour
s’échauffer, sa Déjanire capable de passer du
murmure au cri, et de rendre la détresse de son âme
uniquement en se drapant dans son châle est tout bonnement
irrésistible. Ajoutons qu’elle sait user avec art de ses
beaux aigus bien projetés. Seul déception de la
soirée, Paul Agnew a paru fatigué. En dépit
d’un chant sensible, les aigus sont nettement usés et le
vibrato trop large. Espérons qu’il ne s’agisse que
d’un mauvais rhume car il serait trop cruel que la
tragédie lyrique commence à perdre l’un de ses
meilleurs hautes-contres.
La « mise en espace » d’Olivier Simonnet
apparaît aussi simple qu’efficace. De type moderne,
minimaliste et dépouillée, elle permet de suivre
aisément l’action avec quelques tentures, fauteuils,
et… des hybrides entre un totem et une échelle, tout cela
sur un fond transparent qui laisse apercevoir les travaux dans les
coulisses. L’acte infernal est particulièrement
réussi : sur une scène baignée
d’écarlate, les choristes rampent sur le sol alors
qu’une sorte de citrouille géante (!) descend des cieux et
que l’orchestre exulte dans la fosse. En outre, on tend vers une
réelle mise en scène pendant presque la moitié de
l’œuvre, puisque les artistes se passent de partition lors
des moments cruciaux. Toutefois, ne pourrait-on pas utiliser la
prochaine fois l’admirable réplique du décor en
trompe-l’œil du XVIIIème siècle - qui orne
d’habitude la scène - et les costumes déjà
existants des Fêtes de Nuit pour recréer une
atmosphère plus baroque ?
Côté orchestre, après une première ouverture
un peu imprécise, les Paladins se sont avérés sans
peur et sans reproche. Les tempi
sont toujours bien choisis, les attaques précises sans
êtres sèches, les timbres très colorés,
notamment les bois et les dessus de violon. Compagnon attentif des
chanteurs, l’orchestre est parvenu à insuffler une
dimension poétique et grandiose à l’œuvre,
sans jamais se mettre trop en avant. Et les percussions étaient
du meilleur goût. En bref, un seul mot résume cette belle
soirée : élégance.
Scènes coupées
1/ Des extraits de l’œuvre étaient diffusés
dans l’Orangerie du Château lors de la Nuit blanche,
occasion rare d’admirer ce superbe bâtiment qui fait
honneur à la stéréotomie française (art
d’appareiller les pierres), ainsi que la cuve de marbre de
l’appartement des bains de Mme de Montespan et la statue de Louis
XIV du Bernin transformé en Martius Curtius.
2/ La représentation a été filmée et sera
prochainement diffusée sur Mezzo. Elle mériterait
largement un DVD, et d’autres reprises.
Viet-Linh NGUYEN
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