Alain
Guédé, apôtre zélé de la cause de Joseph Boullongne de Saint-George, rapporte
ainsi les circonstances de la création de L’Amant anonyme :
« [C’]est une adaptation d’une pièce de Mme de Genlis qui a connu un accueil
très honorable en France et dans quelques capitales étrangères. Nommé quelques
mois plus tôt lieutenant des chasses du duc d’Orléans à l’instigation de Mme
de Montesson, le « chevalier » paie ainsi son tribut à ses nouveaux
protecteurs. Ancienne maîtresse du duc Philippe de Chartres – fils du duc
d’Orléans -, Félicité de Genlis n’est autre que la nièce de la marquise de
Montesson. De fait, Joseph se trouve littéralement happé par le « clan »
d’Orléans. D’autant que le duc de Chartres, nul ne l’ignore, est aussi son
frère de loge. C’est d’ailleurs – probablement – dans le somptueux théâtre de
Mme de Montesson que la pièce est représentée pour la première fois, le 8 mars
1870. »
La vie
romanesque du Chevalier de Saint-George, fils d’une esclave et d’un planteur
noble, escrimeur, danseur, violoniste virtuose, chef d’orchestre, une vie qui
croise Marie-Antoinette et le Chevalier d’Eon, Gossec et Choderlos de Laclos,
a inspiré à Alain Guédé en 1999 une biographie alerte (à se procurer d’urgence
chez Babel, c’est une merveille, un tableau acéré d’une Révolution annoncée…).
Mais là où on a un peu plus de mal à suivre l’enthousiasme de Guédé, c’est
quand il plaide pour en faire un compositeur au génie méconnu, et prête aux
méchantes critiques du temps, comme celle de Grimm, des raisons avant tout
racistes (ce qui n’est d’ailleurs pas totalement faux…). Ce n’est en tout cas
pas l’écoute de cet Amant anonyme qui convaincra de l’urgence d’une
résurrection musicale.
L’argument ? Reprenons Guédé : « Valcour, un riche aristocrate, est
secrètement amoureux de la belle Léontine dont il est devenu le confident
depuis que son mari l’a quitté. Mais, n’osant lui déclarer son amour, il lui
adresse anonymement fleurs, présents et lettres enflammées. Le cœur de la
prude Léontine finit bien vite par balancer entre la présence douce et
rassurante d’un Valcour et la passion qui éclate dans les lettres de son amant
anonyme. Le dilemme est tranché lorsqu’elle découvre que les deux ne forment
qu’une seule et même personne. ». A cet argument mince et conventionnel,
répond une qualité de plume… inexistante, même si Eric Chevalier a pris soin
de substituer à la versification établie pour la mise en musique la prose
originale de Mme de Genlis. Ce qui se veut un gain sur le plan littéraire (on
n’ose alors penser à ce qu’était l’original), mais donne à l’écoute des
carrures étranges aux phrases chantées, musique et verbe souvent bancales.
Pièce
parlée mêlée de chants et d’intermèdes dansés, l’Amant anonyme est d’une
vacuité absolue, tant théâtrale que musicale, cette dernière ne dépassant
jamais l’archétype de la musique galante dans son acception la plus désinvolte
et décorative. Une musique d’éventail, qui accumule les clichés entre
ouverture et « contredanse générale » finale, dont le texte au premier degré
ne recèle pas le moindre soupçon de dramaturgie à la Marivaux ou Choderlos de
Laclos. Da Ponte et Mozart se font attendre…On se réveille un peu de son ennui
grâce aux intermèdes dansés bien conduits par Nathalie van Parys, d’autant que
l’Orchestre National de Lorraine, sous la baguette de Peter Csaba, s’amuse à
rendre avec délicatesse les mignardises de la partition. Aucun second degré
salvateur n’est en revanche à attendre des chanteurs, parfois juste
acceptables vocalement et scéniquement, et surtout hélas de la mise en scène
d’Eric Chevalier, aussi décadente que son sujet, malgré l’espoir que suscitait
ses didascalies. On se retire, écoeuré de tant de guimauve mielleuse, de
sentimentalisme, d’aveuglement et de vacuité, en se disant qu’il n’y a pas de
doute, une Révolution s’impose…
Sophie Roughol