Il est courant de se moquer du public
conservateur et réactionnaire du Festival de Salzbourg, surtout
depuis que Gérard Mortier a commencé à "ruer dans
les brancards" il y a une dizaine d'années en proposant opéras
du XXe siècle et mises en scène sulfureuses. Curieusement
pour l'Amour de Loin (créé à Salzbourg le 15 août
2000), ce même public est porté aux nues puisqu'il a réservé
un "énorme succès" à cette oeuvre. L'affiche est pourtant
alléchante : le livret est de l'écrivain (primé au
Goncourt 1993 pour le Rocher de Tanios) franco-marocain Amin Maalouf, la
musique de Kaija Saariaho (dont les succès au disque et au concert
sont loin d'être immérités) et la mise en scène
de Peter Sellars (capable du pire dans les opéras du répertoire
comme du meilleur dans les pièces contemporaines). La distribution
n'est pas en reste, les noms de Kent Nagano, Dawn Upshaw et Gerald Finley
étant rarement associés à de la médiocrité.
Pourtant la réunion de grands
créateurs et interprètes n'a pas toujours été
synonyme de qualité. Quand Debussy et D'Annunzio s'associent pour
le Martyre de Saint Sébastien, créé par Ansermet et
Ida Rubinstein, la création fut un four et l'oeuvre ne subsiste
actuellement au concert que dans une version hybride, entre cantate et
oratorio. De même pour Perséphone d'Igor Stravinsky/ André
Gide/ Ida Rubinstein, qui n'est que fort rarement jouée. La liste
est longue, et s'allonge encore avec cet Amour de Loin.
Que dire de la musique de Mme Saariaho
? Belle, chaude, sensuelle, raffinée, consonante, rassurante, sirupeuse,
confortable, répétitive et peu variée. L'auditeur
est baigné dans un environnement sonore chatoyant et mélodique,
sans tensions... une belle musique d'ameublement. Plutôt décevant,
vu la réussite d'autres pièces sorties récemment en
CD (Graal Théâtre, Private Gardens,...). Le livret d'Amin
Maalouf est en accord parfait avec la musique, dénué de toute
action, de tout dramatisme. On se laisse bercer doucement avec ces deux
heures de spectacle soporifique, dans une mise en scène que l'on
croirait faite au ralenti, malgré de somptueux décors et
costumes.
Pour parachever le tout, Mmes Upshaw
et Paaskivili, ainsi que M. Finley chantent admirablement bien un sabir
incompréhensible qui ressemble fortement à du français.
Mention spéciale pour le choeur et l'orchestre, admirables interprètes
en précision et en beauté sonore de cette partition -qui
a tout de même une grande qualité, celle d'être très
bien écrite pour les voix et très bien orchestrée.
Cette nouvelle création parisienne
vient comme un cheveu sur la soupe, après les succès des
reprises ou créations récentes de Outis (Luciano Berio),
K... (Philippe Mannoury), le Conte d'Hiver (Philippe Boesmans) ou Trois
Soeurs (Peter Eötvös).
Maxime Kapriélian