Ne coupez
pas !
Sans être un pilier
du répertoire new-yorkais comparable à La Bohême
ou
Tosca, Andrea Chénier y reste un opéra joué avec
une certaine régularité, dès lors que des chanteurs
de haut niveau peuvent y briller.
Chénier a été
produit pour la première fois à New York (mais pas au Met),
l'année même de sa création italienne. Si le Met s'est
fait voler cette création, il s'est bien rattrapé depuis,
avec plus de 170 représentations à ce jour (à noter
que l'oeuvre n'a jamais été chantée à l'Opéra
de Paris...).
Si Caruso ne survécut
pas jusqu'aux représentations pour lesquelles il était programmé,
Gigli puis Del Monaco, Tucker, Bergonzi, Corelli, Domingo (en 1977) ou
Pavarotti ont défendu le rôle du poète aux côtés
de Maddalena telles que Ponselle, Muzio, Rethberg, Milanov, Tebaldi, Arroyo
ou Farrell et de Gérard incarnés par des Warren, Merrill,
Bastianini ou encore Milnes. C'est dire si les références
sont intimidantes pour cet ouvrage. La production actuelle a été
créée en 1996, à l'occasion de la prise de rôle
scénique de Luciano Pavarotti (aux côtés d'Aprile Millo
et de Juan Pons).
Comme on le sait, les mises
en scène du Metropolitan sont généralement assez classiques,
et la production de Nicolas Joël n'échappe pas à la
règle : on pouvait néanmoins attendre plus d'inspiration
de cette équipe.
En effet, après un
premier acte un peu stylisé, nous avons droit à une production
on ne peut plus "conventionnelle" (normal, compte tenu du sujet), et sans
les fastes d'ouvrages plus populaires au Met.
Si la mise en scène
n'est pas transposée, on ne peut pas en dire autant du rôle
du ténor : un ton pour "Un di all'azzuro spazio", un demi-ton (voire
un ton entier) pour une bonne partie de l'acte II; "Si fui soldato" et
"Come un bel di maggio" échappent à l'ascenseur, mais au
sacrifice du si bémol pour le second.
A ce stade de sa carrière
et compte tenu des références que nous avons rappelées
en introduction, on peut se demander pourquoi, diable, Placido Domingo
a voulu se lancer dans une pareille aventure ! Certes, la voix reste belle,
bien timbrée, toujours sans vibrato, la musicalité
est irréprochable, mais quelle tension dans les aigus (avec un deuxième
acte franchement pénible) ! Quel manque de vaillance et d'héroïsme
!
Annoncé souffrant
dès le début du spectacle, Domingo finira par jeter l'éponge
au final pour être remplacé par l'honnête Antonio Barasorda
pour le dernier acte. A l'issue de cette représentation, Domingo
décidera finalement d'annuler sa participation aux représentations
viennoises de juin 2003.
Notre bonheur est donc ailleurs.
Succédant à Sylvie Valayre pour une unique représentation
(la dernière), Aprile Millo nous revient en grande forme : assurément,
nous avons droit à du vrai beau chant. Du pianissimo extatique
à l'aigu autoritaire, l'artiste utilise avec science toutes les
ressources de son art.
Mais il s'agit plus de science
que de véritable génie : Millo n'est pas ici Maddalena, mais
bien plutôt "Aprile Millo imitant Zinka Milanov dans le rôle
de Maddalena" ! Constamment tournée vers la salle, Millo nous gratifie
d'une gestuelle sémaphorique qui évoque davantage le bis
d'un récital qu'une véritable représentation scénique
: nous nageons dans les pires conventions pré-callassiennes. "Io
son l'amore" (extrapolé d'un contre-ut !) est ainsi lancé
la mâchoire ferme, l'oeil de braise, le poing frappant la poitrine,
tout ça devant le trou du souffleur et sans un regard pour son partenaire.
Heureux de retrouver une
de ses artistes favorites (Millo ne chantait que cette unique soirée
cette saison), le public new-yorkais lui fait un véritable triomphe
: nous aurons droit à l'inévitable genou en terre à
l'issue de la "Mamma morta" avec accompagnement de larmes et poses farouches.
Doublure de Juan Pons pour
cette dernière représentation, Frederick Burchinal masque
l'usure de ses moyens en chantant le plus fort possible, ce qui ne fait
que nous rendre plus évidents ses problèmes de justesse.
On ne dira pas grand chose d'Antonio Barasorda, tombé des cintres
pour le dernier tableau : c'est du travail honnête pour un vétéran.
Les seconds rôles (qui
regroupent un certain nombre de vieilles gloires) sont excellemment tenus.
Paul Nadler assure quant
à lui la doublure de James Levine : c'est donc à ce dernier
qu'il faudra reprocher des tempi extrêmement étirés
(défaut déjà noté dans notre critique de Tosca
de mai dernier) : heureusement, Millo a du souffle !
Placido Carrerotti