Avant le levée de rideau, le
directeur du Châtelet, Jean-Pierre Brossnann annonce que Mme Barbara
Bonney, bien que souffrante, chantera tout de même le rôle
de Zdenka. Force est de constater que cette annonce était bien inutile
car Mme Bonney chanta son rôle bien, fort bien même (voire
plus loin). Caprice de diva pour faire exploser ensuite l'applaudimètre
ou bien démonstration fracassante que le professionnalisme l'emporte
sur les virus et autre bactéries ? En tout cas, cette annonce plaça
la salle dans une certaine angoisse qui dès le lever de rideau,
se dissipa très vite.
L'action d'Arabella se situe
dans un hôtel et une salle de bal de Vienne sous le règne
de Joseph II. Dans la production de Peter Mussbach, nous sommes effectivement
dans un hôtel mais dans un 20 ème siècle indéterminé.
La surenchère de dorures et les escalators nous font penser à
la Trump Tower tandis que les costumes mêlant branché, punk
ou très classique selon les personnages rendent l'action intemporelle.
Ce décor unique et cette intemporalité, décidément
très à la mode pourrait lasser si Mussbach n'était
pas un grand directeur d'acteurs (contrairement à un certain nombre
de ses collègues). Grâce à ce travail, l'opéra
de Richard Strauss moins joué que d'autres oeuvres du compositeur
viennois, se révèle une superbe illustration de la valse
des sentiments et de la liberté d'aimer. Preuve de cette réussite,
certains chanteurs au tempérament dramatique pas forcément
inné, comme Thomas Hampson ou Barbara Bonney donnent un véritable
dimension à leur personnage. Certes, la scène du bal, qui
se déroule également dans le hall est transformée
en sorte de cocktail mondain où tous se croisent sans se voir. Cela
n'est pas si choquant car l'écriture de Strauss est empruntée
de beaucoup de sérieux et de mélancolie et ne nous donne
jamais l'impression musicale d'être dans une fête éblouissante.
Le propos reste donc cohérent, ne gène en rien la musique
ni le travail des chanteurs.
Côté chant, nous sommes
véritablement à la fête. Barbara Bonney campe une Zdenka
parfaitement crédible en garçon manqué mal dans sa
peau. Quand à la voix, elle n'eut pas à pâtir de l'indisposition
redoutée. Thomas Hampson est excellent dans sa prise de rôle.
Son arrivée au premier acte et sa prestation en ours provincial
est époustouflante. Après Amfortas à Bastille l'année
dernière, il démontre une fois de plus qu'il est certainement
l'un des meilleurs barytons de ces dernières années. Mais
la triomphatrice de cette représentation est bien Karita Mattila.
Sa présence scénique, son timbre chaud et sa très
grande musicalité sont admirables. Le bonheur à l'état
pur!
Les autres interprètes, mis
à part une Fiakermilli trop criarde sont parfaits et très
bien dirigés par Christoph von Dohnanyi, qui évite les pièges
parfois sirupeux de l'écriture de Strauss (une partition de Wagner
fait presque "zen" à côté d'une partition du viennois).
Cette lecture claire et sans maniérisme permet un grande lisibilité
aux spectateurs dont certainement une grande partie découvrait cette
oeuvre trop souvent considérée comme mineure par rapport
au Chevalier et autre Ariadne.
Bertrand Bouffartigue