Une
copie à revoir
Cette nouvelle production d'Ariane
à Naxos au palais Garnier était très attendue.
Parce que le joyau straussien n'y avait plus été représenté
depuis 1986 (Montserrat Caballé chantait alors le rôle titre),
parce que Natalie Dessay effectuait aussi à cette occasion son grand
retour à l'Opéra de Paris, parce que, enfin, la mise en scène
en avait été confiée à Laurent Pelly, qui nous
avait enthousiasmé avec ses lectures d'Offenbach. Les attentes étaient-elles
trop fortes ? Toujours est-il que nous avons assisté à un
spectacle qui ravira sans doute les inconditionnels du metteur en scène
et de la soprano, mais ne m'a pas du tout convaincu, malgré les
qualités indéniables de la distribution.
Le prologue se déroule dans
un vaste espace que n'occupent que deux escaliers et autant de divans.
Il y a là un certain kitch revendiqué, ce que nous confirme
l'apparition d'une limousine dont s'extrait la troupe italienne, en tenues
post-soixante-huitardes, qui s'engage dans une bataille de boules de neige.
Allons-nous assister à une lecture irrévérencieuse
? Pas du tout, car le metteur en scène s'efface totalement dans
ce prologue, incapable de lui conférer une animation malgré
le nombre et la diversité des personnages impliqués, sommairement
caractérisés ici. Et, comme dans le même temps, Pinchas
Steinberg ne propose dans la fosse qu'une lecture très prosaïque,
privée de transparence, la monotonie s'installe et l'on cherche
en vain la magie de l'ouvrage. Pour nous arracher à l'ennui, il
faut l'abattage et la vivacité de Sophie Koch, compositeur très
convaincant malgré quelques aigus escamotés (il est vrai
que cette tessiture hybride a mis à mal plus d'un mezzo). La grande
tradition straussienne se manifeste au travers du majordome de Waldemar
Kmentt, fort d'un demi-siècle de bons et loyaux services dans la
troupe de l'Opéra de Vienne, un ancien Bacchus qui apporte à
ce rôle parlé un saisissant talent de diseur. Les autres tiennent
dignement leur place, à l'image du solide maître de musique
de David Wilson-Johnson, même si les moyens de cet épatant
ténor de caractère qu'est Graham Clark donne de sérieux
signes de fatigue.
Les choses se gâtent lorsque
Laurent Pelly entreprend d'appliquer à l'ouvrage les recettes qui
ont fait sa réputation dans Offenbach. C'est bien vite oublier tout
ce qui sépare l'univers mélancolique et raffiné d'Hofmannstahl
des franches parodies de Meilhac et Halévy. Le texte n'a pourtant
pas besoin d'être souligné à gros traits et le public
a ri pendant le prologue des interventions du majordome, sans qu'il ait
été nécessaire d'en rajouter. Il suffit de faire confiance
à la grâce du texte et au génie des situations. Pas
de grotte pour Ariane ici, mais la plateforme d'un immeuble en construction
sur un rivage méditerranéen. Les artistes italiens débarquent
en chemise à fleurs d'un minibus rouge et blanc. Pourquoi pas ?
Mais l'arrivée des nymphes attifées en ménagères
de moins de 50 ans est tristement dépoétisée. Le toujours
impeccable Stéphane Degout fait heureusement une apparition remarquable
dans Arlequin. Natalie Dessay, chevelure carotte, en bikini et paréo
colorés et fleuris, laisse libre court à sa fantaisie dans
une mise en scène qui semble alors balancer entre apathie et agitation
inutile. Mais pourquoi transformer son air en un pastiche trivial et racoleur
de celui d'Olympia (avec référence explicite à la
mise en scène de Robert Carsen) ? La Zerbinette straussienne est-elle
cette créature hystérique ? Non, bien sûr. Le public
de Garnier, tout à la joie de retrouver une chanteuse des plus attachantes,
délire, mais cette grosse farce n'a rien à voir avec une
oeuvre infiniment subtile et délicate. On peut admettre que Laurent
Pelly ait volontairement renoncé aux codes de la commedia dell'arte,
mais pas qu'il nous impose un spectacle digne d'une exhibition de Benny
Hill. Où est la poésie, où est l'alchimie straussienne
? Natalie Dessay parvient à imposer son abattage, mais on remarque
que le suraigu semble moins facile dans cette voix en mutation, qui laissera
bientôt sans doute Zerbinette derrière elle.
Katarina Dalayman, habituée
du rôle titre, possède des moyens respectables et de belles
manières, et elle nous offre de jolis piani, mais l'aigu
est parfois tiré et la diction très insuffisante. La meilleure
prestation vocale de la soirée vient du Bacchus de Jon Villars.
Pas une note ne trahit l'effort dans cette voix solide et puissante, mais
surtout menée à une rare musicalité. Il me semble
que le ténor américain est aujourd'hui sans rival dans ce
rôle. Et, aspect non négligeable, il reste crédible
scéniquement en divinité antique. Grâce à lui
et à Dalayman, on retrouve enfin le souffle et l'esprit straussiens
dans le final et le bilan s'équilibre dans cette production si frustrante
sur le plan visuel. Laurent Pelly est un metteur en scène doué
; il ne paraît tout simplement pas dans son élément
avec la comédie straussienne où le rire se teinte toujours
de mélancolie dans une sorte de clair-obscur permanent. L'objectivité
me commande de préciser qu'une grande partie du public a passé
une excellente soirée, mais nous étions quelques uns à
nous demander ce qu'il était advenu d'une oeuvre que nous chérissons.
Vincent DELOGE