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MONTREAL
06/11/04

Bacchus - Ariane - fireworks
Bacchus - Michael Hendrick / Ariane - Marina Shagush
© Opéra de Montréal
Richard STRAUSS (1864-1949)

Ariane à Naxos
(Ariadne auf Naxos) 

Opéra en un prologue et un acte
Livret de Hugo von Hofmannsthal

Direction musicale : Jacques Lacombe

Mise en scène : Chris Alexander

Décor : Robert A. Dahlstrom
Costumes : Bruno Schwengel et Cynthia Savage
Éclairages : Guy Simard

Orchestre Symphonique de Montréal

Le Maître de musique : John Fanning
Le Majordome : Georg Martin Bode
Le Laquais : Claude Grenier
L'Officier : Antonio Figueroa
Le Compositeur : Danièle LeBlanc
Le Ténor : Michael Hendrick
Le Perruquier : Étienne Dupuis
Zerbinette : Aline Kutan
La Prima Donna/Ariane : Marina Shaguch
Le Maître de danse : Peter Blanchet
Naïade : Allison Angelo
Dryade : Mia Lennox Williams
Écho : Marie Simoneau
Arlequin : Aaron St Clair Nicholson
Truffaldin : Marc Belleau
Scaramouche : Nils Brown
Brighella : Pascal Charbonneau

Place des Arts, Salle Wilfrid-Pelletier
Montréal, 6 novembre 2004



Métamorphoses et transfiguration

Vers la fin des années 1990, lorsqu'on demanda à Owen Lee quel était selon lui "l'opéra du siècle", celui qu'il apporterait sur une île déserte (sans jeu de mots), il répondit qu'à son avis Ariane à Naxos était "l'opéra le plus important et, de bien des points de vue, le meilleur de ce siècle"(1).  Cette opinion, étayée par une argumentation à la fois musicale et sociologique, montre jusqu'à quel point Strauss s'est adapté à une situation nouvelle qui l'obligeait à transformer son oeuvre en lui donnant sa mouture définitive en 1916. Lee en trouve la musique géniale et adaptée au déroulement de l'action, mais c'est surtout la notion de métamorphose, omniprésente dans le prologue et dans l'acte lui-même, qui, selon l'auteur, donne tant de valeur à l'ouvrage et qu'il s'emploie à relever. Il faut un départ pour une vie nouvelle : "Pour éviter, à un moment de crise, de dépérir, de mourir, il faut changer. Se transformer. Se renouveler.(2)"  Strauss et son librettiste, pour l'oeuvre elle-même, le Compositeur dans le prologue, Ariane, Bacchus et même Zerbinette, dans leur évolution, ont tous compris que la survie passait par le changement. Comment cela se traduit-il dans ce que nous avons vu et entendu en ce soir de novembre ?

L'action devrait se dérouler dans la demeure de l'homme le plus riche de Vienne, mais ici le décor nous transporte plutôt dans une galerie d'art moderne. Qu'est-ce que cela ajoute ? Rien en fait, sinon qu'il peut simplement avoir eu la fantaisie d'en devenir le propriétaire. Le changement opéré par le metteur en scène cadre assez mal avec l'esprit de l'oeuvre. Veut-il à son tour introduire une métamorphose de son cru dans l'opéra ? Si c'est le cas, pareille prétention tombe à plat et on perd une bonne partie de la soirée à en chercher la justification. Ceci dit, il se passe quand même des choses intéressantes dans cette galerie et les personnages sont crédibles. Dans le prologue, ils tiennent bien leurs rangs, mais c'est surtout dans l'acte qu'on trouve les meilleurs moments de la soirée. L'entrée sur scène des comédiens sur un piano, celle de Bacchus sur le chariot ayant servi à transporter les bouteilles de vin dans le prologue et les danses des quatre bouffons de la commedia dell'arte sont d'un comique irrésistible. 


"Le Gang d'Ariane"  © opéra de Montréal

Le prologue montre l'envers du décor, le lieu où les artistes se préparent à faire leur entrée dans l'oeuvre du Compositeur. L'acte expose l'intérieur de la galerie, avec en son centre une espèce de sculpture d'art moderne faite de deux grandes feuilles en bronze repliées en spirale l'une dans l'autre avec un passage simulant l'entrée de la grotte. À la fin, ces feuilles s'ouvrent devant une grande verrière qui laisse voir le feu d'artifice qui éclate au moment même où Bacchus termine son dernier chant. L'effet est d'autant plus saisissant qu'on ne l'attend pas, tant est envoûtante la musique qui couronne l'oeuvre.

Le chant n'est pas en reste. La véritable pyrotechnie, c'est Aline Kutan qui nous la donne. Sa Zerbinette est tout bonnement époustouflante de voix et de jeu. Quelle justesse de ton. Quelle étonnante projection pour une chanteuse dont la voix n'est pas très puissante, mais qu'on entend aisément dans ce grand amphithéâtre. Elle possède une telle maîtrise du contrôle vocal et un naturel si exaltant qu'on se sent comme transporté par la richesse de son incarnation. La métamorphose n'est plus uniquement dans l'opéra, elle est maintenant dans le public qui est là pour l'entendre. Tout y est si finement esquissé et les deux contre-ut de son grand air précédés un peu plus tôt d'un éblouissant contre-mi scintillent comme l'éclat du diamant. Avec le style et les moyens parfaitement adaptés au rôle, Aline Kutan pourrait bien devenir la Zerbinette que certaines grandes maisons attendent. 


Le Maître de danse - Peter Blanchet
Zerbinette - Aline Kutan
© opéra de Montréal

Même si le riche mezzo de Danièle Leblanc perd quelque peu de sa rondeur dans les aigus et que la transformation qui s'opère en elle appelle plus d'émotion, on reste séduit par la beauté du timbre. John Fanning et Peter Blanchet campent de façon très satisfaisante les Maîtres du jeu. Mais c'est l'acte qui nous procure les moments les plus excitants. De Marisa Shagush, on retiendra l'aisance d'une voix généreuse surtout dans le haut médium et dans la tessiture élevée du rôle. Par contre, elle peine à se rendre audible dans le bas médium et dans les graves. Michael Hendrick prend son rôle très au sérieux, comme il l'avait fait dans le prologue. Son Bacchus, dont les aigus sont sûrs et bien projetés, gagne en beauté vocale ce qu'il perd en caractérisation. Ces réserves tombent toutefois lorsque, dans l'extatique duo final, Shaguch et Hendrick atteignent une justesse et une sincérité d'interprétation qui montrent bien la profondeur de la métamorphose, nouveau départ qui redonne vie à la vie.

Les quatre comédiens, tout comme les trois nymphes, livrent une prestation de haut vol. Encore une fois, Aaron St. Clair Nicholson s'illustre dans un rôle à sa mesure. Son Arlequin plein de finesse le trouve à son meilleur dans le bref lied qu'il entonne à l'intention d'Ariane. Il convient aussi de noter la solide performance vocale de Marc Belleau en Truffaldin. Ce chanteur a devant lui une carrière prometteuse qu'il faudra surveiller. La perfection d'exécution du chant éthéré des nymphes entendu dès l'appel de Bacchus et qui culmine à la fin du duo d'amour d'Ariane et de Bacchus contribue grandement à rehausser l'atmosphère d'enchantement qui prévaut en cet instant suprême.

La direction de Jacques Lacombe, vive, élégiaque, incandescente, magnifie les splendeurs orchestrales de cette riche partition. Sa lecture de l'oeuvre fait ressortir des détails d'une beauté inouïe, révèle les jeux d'ombre et de lumière dont la partition fourmille et on ne peut qu'admirer l'engagement, exceptionnel des musiciens. C'est un des grands chefs d'opéra qu'il nous est aujourd'hui donné d'entendre et avec qui, en vérité, la musique de Strauss subit une véritable transfiguration. Le miracle de la soirée, s'il en est un, c'est dans l'orchestre qu'il réside.
 
 
 

Réal BOUCHER
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(1) Owen Lee, Une saison à l'opéra. Montréal, Fides, 1999, p 306
(2) Idem, p. 309

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