Léopold, le maître d'hôtel,
gagnera-t-il le coeur de la jolie veuve Josépha, propriétaire
de l'Auberge du Cheval Blanc, elle-même amoureuse du séduisant
avocat Florès qui n'a d'yeux que pour la jeune Sylvabelle ? Le livret
semble cousu d'un fil aussi blanc que celui qui ourle le sommet des montagnes
enneigées du Tyrol : il est vrai qu'il s'agit là d'un genre
aujourd'hui disparu, l'opérette viennoise. Mais pas de panique !
La mise en scène d'Adriano Sinivia est prétexte à
une vraie relecture de l'ouvrage tandis que la chorégraphie du même
Sinivia concourt à la légèreté de l'ensemble.
Une excellente surprise qui s'est jouée à la Halle aux Grains
de Toulouse pour les Fêtes de fin d'année, avec une troupe
jeune qui dépoussière l'ouvrage avec talent et entrain.
Après le décrassage récent
d'opérettes françaises, on espérait beaucoup du traitement
réservé à cette Auberge qui marque, avec l'increvable
Veuve
joyeuse, l'acmé de cet esprit viennois qui fit jadis florès.
On n'est pas déçu : on
passe en effet une excellente soirée, car la mise en scène
mêle intelligemment tableaux à grand spectacle (la scène
de la Halle aux Grains semble aussi vaste que celle du Châtelet !)
et trouvailles plus amusantes et tout aussi efficaces.
Excellentes idées que de faire
appel aux disciplines du cirque ou de situer l'action dans une station
de ski, avec d'inénarrables danses tyroliennes en raquettes, skis
et autres accessoires de glisse. On rit à gorge déployée
et le bonheur s'installe. En prime, l'apparition d'un hénaurme boeuf,
d'un cochon rose bonbon et d'un défilé d'oies mettent en
joie un public prêt à retrouver son âme d'enfant. Bref,
une vraie relecture moderne, propre à intéresser un public
nouveau... mais peut-être aussi avec la peur de décontenancer
celui de l'opérette traditionnelle. On devine la tête des
héritiers et ayant-droits de l'oeuvre s'ils sont restés campés
sur des positions un peu archaïques...
Au final, une vraie Auberge, presque
espagnole parfois, mais où chacun a pu trouver son affaire : avec
les acrobates et équilibristes, les jeunes ont découvert
et aimé ce classique du répertoire et les seniors n'ont pas
perdu leurs marques.
Lionel Peintre (Léopold),
Marie-Ange Todorovitch (Josépha)
et Stéphane Soo Mongo (Piccolo)
© Patrice Nin
Les comédiens sont tous fort
bons. Si Patrick Rocca, dans un rôle de Marseillais comme on n'en
fait plus... ou on ne devrait plus en faire, se taille un jolis succès,
le reste de la distribution ne démérite pas. Lionel Peintre
- petite voix d'opérette, mais talent de comédien indéniable
- joue plus qu'il ne chante un Léopold fort sympathique et Olivier
Heyte avec Sophie Haudebourg font chavirer les coeurs dans leurs célèbres
duos. S'il nous est impossible de citer la vingtaine d'acteurs qui complètent
l'affiche et qui sont tous très bien en place, nous avons gardé
la meilleure pour la fin : Marie-Ange Todorovitch. Passant allègrement
et avec bonheur de Mozart, Rossini, Verdi ou Bizet à Benatzky, la
mezzo-soprano montpelliéraine emporte tous les suffrages avec une
Josépha drôle et dramatique à la fois, isolant son
air dans un écrin musical rare.
Il n'est pas certain que Benatzky ait
retrouvé sa partition sous la baguette de Claude Cuguillère.
Trop de Gershwin, de Cole Porter, de jazz et de swing dans sa direction
certes alerte, mais plus proche de Francis Lopez que de l'esprit viennois.
Le public n'y voit que du feu et hurle
à tout rompre. Vox populi, vox dei...
Christian COLOMBEAU