Monter Le Barbier de Séville
dans le grand vaisseau de Bastille peut paraître a priori incongru.
En effet, comment y apprécier vraiment le travail d'orfèvre
minutieux et pointilleux de la musique et la subtilité de l'intrigue
? L'une des conditions, pour ne pas tromper un public constitué,
pour une bonne partie, de spectateurs allant rarement à l'Opéra
sauf pour de grands "tubes", est de lui proposer un spectacle haut de gamme.
Force est de constater que le pari est réussi.
Le précédent travail
de Coline Serreau sur la Chauve Souris à l'ONP avait été
largement contesté. Le côté démonstratif de
la mise en scène autour de l'antisémitisme de la société
viennoise était particulièrement lourd et gâchait les
excellentes idées (le ballet décalé, les changements
de décors spectaculairesÖ). Sur le papier, le choix d'une transposition
dans une Espagne islamique traitant du problème de l'émancipation
féminine pouvait faire craindre le pire. Mais ce thème n'apparaît
finalement qu'en filigrane dans un spectacle qui se veut tout d'abord raffiné
et divertissant. Les décors de Jean-Marc Stehlé et Antoine
Fontaine sont à la fois classiques et superbes (en particulier les
deux intérieurs de la demeure de Bartolo). Il est paradoxal de penser
que Stehlé a collaboré à l'épouvantable Idoménée
mais aussi à la très belle Flûte Enchantée de
Garnier. Comme le dit justement Catherine Scholler dans sa critique de
la Flûte, tout est une question de cahier des charges et d'exigence
du metteur en scène. Coline Serreau sait visiblement ce qu'elle
veut et a transmis aux chanteurs un grand sens du rythme, tout en restant
finalement assez sage (on se souvient d'une mise en scène de Dario
Fo beaucoup plus échevelée à l'occasion du bicentenaire
Rossini à Garnier).
La distribution démontre que
certaines défauts constatés chez un chanteur ou un autre
ne remettent pas forcément en cause son homogénéité.
D'un point de vue individuel, Sophie Koch nous a fait peur au cours de
cette représentation en ratant son "Una voce poco fa" avec des aigus
mal maîtrisés et faux. Les récitatifs qui ont suivi
étaient également très "limite" du point de vue de
la justesse. Mais cette méforme fut passagère et la suite
fut royale. Au cours du deuxième acte, Sophie Koch laissa éclater
son timbre corsé et fit preuve d'un bon abattage scénique.
Les échos des autres représentations ont bien confirmé
qu'il s'agissait d'un incident de parcours qui peut arriver à (presque)
n'importe quel chanteur.
Le cas de Bruce Ford répond
également à la même règle avec quelques faiblesses
de projection et un timbre un peu nasillard. Là aussi au 2ème
acte, la voix a pris de la puissance et de l'expressivité. Le Figaro
de Dalibor Jenis était quand à lui tout de suite dans le
ton avec un timbre clair et vaillant. Nous sommes face à un Figaro
jeune et roublard, tout à fait dans le style voulu par Beaumarchais.
Ferruccio Furlanetto est beaucoup plus crédible en Basilio que dans
l'opéra français (on se souvient de son Mephisto de sinistre
mémoire). Mais les deux grands vainqueurs de la soirée furent
Carlos Chausson en barbon bourré de tics et Jeannette Fischer impayable
dans son numéro de rap (et quels aigus !).
La direction d'orchestre de Bruno Campanella
est alerte, souvent rapide (un peu trop peut être) et les choeurs,
vaillants comme à leur habitude, se prêtent visiblement bien
au jeu scénique.
Bref une production où populaire
rime avec grand luxe !
Bertrand Bouffartigue