Bartoli
fait salle comble, comme d'habitude. On ajoute même des chaises sur
scène puisque la taille de l'orchestre le permet.
La recette est éprouvée
: commencer chaque partie par un fragment instrumental assez long, puis
chanter les airs doux, lyriques ou introvertis et terminer par un air virtuose
et bien brillant. Rien d'original, mais si la recette est servie par une
telle soliste, un orchestre en état de grâce et un chef remarquable,
de quoi se plaindrait-on? Cette soirée pourrait d'ailleurs s'intituler
"dialogue pour voix et instruments".
Dès l'ouverture de Rodrigo
nous apprécions les qualités individuelles des instrumentistes,
en l'occurrence le premier violon. Dans l'air de Dafne, c'est la flûte
qui répond à la voix sur un accompagnement très discret
des cordes, laissant Cecilia Bartoli particulièrement exposée
au début. Mais qu'on se rassure, la voix est bien là, projetée,
avec ses graves soyeux et un trille sans faille. Dans la sonate précédant
l'air d'Il Trionfo, le dialogue instrumental se diversifie : l'orgue,
le violon solo puis le violoncelle sont rejoints par les deux hautbois,
créant un vrai plaisir acoustique. Bartoli se fait espiègle
dans son air "Un leggiadro giovinetto bel diletto desta in suono lusinghier".
Après le concerto grosso, la
diva revient avec ce qu'il faut bien appeler un "tube": "Lascia la spina".
Lors de la reprise du thème, Minkowski fait jouer ses musiciens
pianissimo;
Bartoli murmure; c'est à qui fera le plus de nuances pour que le
son meurt; le public retient son souffle. La première partie se
termine évidemment par un feu d'artifice, soit le morceau le plus
étourdissant de la soirée : "Come nembo che fugge col vento".
La voix virevolte, imitant le vent, mettant à l'épreuve une
technique du souffle époustouflante. La reprise est ornée
de variations diaboliques qui provoquent les applaudissements des auditeurs.
Après l'entracte, l'orchestre
redéploie l'éventail de ses solistes (violons 1 et 2, puis
violoncelles 1 et 2, hautbois) dans le deuxième concerto grosso,
contemporain de celui donné en première partie. Pour l'air
d'Almirena, les trois flûtistes sont à l'honneur, surtout
la petite flûte venue sur le devant jouer avec la voix. C'est un
bonheur d'imitation du chant et de la nature. L'air suivant d'Almira est
plus élégiaque dans sa tonalité mineure; cette fois-ci
le dialogue s'établit avec le son plus mélancolique du hautbois.
Le programme officiel se termine par un air de bravoure : "Scherza nel
mar" la technique de Cecilia Bartoli mais aussi des cordes extrêmement
précises. Minkowski est connu pour les risques qu'il aime prendre
en ce qui concerne les tempi très lents ou très rapides et
les musiciens n'ont qu'à bien se tenir ! Ce qu'ils font à
merveille.
Cecilia Bartoli ne partira qu'après
de nombreux rappels et trois bis : un "Ombra mai fù" de Bononcini
(moins abouti musicalement que celui de Haendel), un "Bel piacere" où
la diva romaine s'amuse à tourner le dos au public et une reprise
de "Lascia la spina". Dans ce dernier bis, musiciens et chanteuse
vont oser encore des nuances infimes, le triple piano à la
limite de l'audible. Pendant quelques secondes, le temps s'est arrêté.
Valéry FLEURQUIN