C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
PARIS
23/04/03

(Maria Bayo)
Airs de Zarzuelas du XVIIIème siècle

Maria BAYO, soprano

Les Talens Lyriques

Direction : Christophe ROUSSET

PROGRAMME

José Melchor DE NEBRA BLASCO (1702 - 1768) 
Para Obsequio a la Deidad
- Récitatif et Air d'Ifigenia "Suspendete tirano.... Piedad, senor"

Amor aumenta el valor
- Aria de Porsena "Màs facil serà al viento"
- Récitatif et aria d'Horacio "Triste càrcel oscura... Ay ! amor..."

Luigi BOCCHERINI (1743 - 1805)
Clementina

- Ouverture
- Aria de Clementina "Almas qué Amor sujeto..."

Luigi BOCCHERINI
Symphonie, Opus 37 n° 3

Antonio RODRIGUEZ DE HITA (1724 - 1787)
La Briseida
- Aria n° 4 "Amor solo tu en canto...."

Vicente MARTIN Y SOLER (1754 - 1806)
La Madrilena o el Tutor burlado
- Ouverture
- Seguedilla de Violante "Innocentita y nina"
 

Paris, Théâtre des Champs Elysées, 
Cycle "Grandes Voix"

23 avril 2003


Mozart à la cour d'Espagne ou l'Europe des Lumières
 

La zarzuela est un genre musical typiquement espagnol que de grands chanteurs comme Montserrat Caballé, Placido Domingo, José Carreras, Alfredo Kraus, Teresa Berganza ont contribué à faire connaître à travers le monde.

Bien que son histoire soit longue et confuse, la zarzuela peut aujourd'hui être considérée comme l'équivalent de l'opérette viennoise, identifiée par les Espagnols comme "zarzuelita" ou "genero chico", dans le style de l'opéra-comique : de l'opéra léger en espagnol avec des dialogues parlés.

En fait, ce genre est né au XVème siècle, pendant le règne de Ferdinand et d'Isabelle, son nom reprend celui du Palais "La Zarzuela" situé près de Madrid. Il deviendra encore plus populaire au XVIIème siècle pendant le règne de Philippe IV, comme divertissement de cour. Temporairement éclipsé par l'opéra italien, il connaîtra un regain de succès au XIXème siècle, comme en témoigne la fondation, en 1865 à Madrid, du  "Teatro de la Zarzuela" destiné à accueillir les futures créations.

L'un des principaux intérêts de ce concert au Théâtre des Champs-Élysées était d'en faire connaître un pan entier et quasiment inconnu. En effet, grâce à Jordi Savall et à d'autres, la musique ancienne espagnole a été et est toujours très bien servie. La zarzuela du XIXème siècle jouit ainsi d'une certaine renommée, consacrée par plusieurs enregistrements des oeuvres les plus connues. Mais il est loin d'en être de même avec cette musique d'un XVIIIème siècle pourtant extrêmement fécond dans tout le reste de l'Europe, et ces partitions restées dans l'ombre allaient révéler ce soir-là des merveilles insoupçonnées, d'authentiques joyaux.

Au gré d'une sorte de parcours chronologique, on commence par le plus ancien, José Melchor de Nebra Blasco, un des maîtres de Padre Antonio Soler, auteur de vingt opéras et de nombreuses oeuvres de musique sacrée. Avec surprise, on découvre une musique qui s'apparente fortement aux airs de concert de Mozart : récitatif accompagné, mouvement lent, suivi d'un mouvement rapide. On reconnaît aussi des accents haendeliens dans la rapidité virtuose des cadences et même un accompagnement d'une structure quasiment vivaldienne avec flûtes et pizzicati dans l'air dévolu au rôle travesti d'Horatio. Rien de particulièrement "hispanisant" dans ces compositions nourries de réminiscences d'origines cosmopolites.

A cet égard, le choix de Boccherini n'a rien de surprenant quand on apprend que ce musicien, qui avait séjourné en Espagne, était le compositeur en titre de l'Infant... L'osmose entre l'Italie et l'Espagne devient complète et se complique à l'écoute de l'air de La Briseida d'Antonio Rodriguez de Hita, qui fut directeur de la Musique au couvent de l'Incarnation de Madrid : la ressemblance avec les airs de concert de Mozart et certains de ses opéras de jeunesse devient hallucinante... Mais tout cela n'est pas si étonnant, car, au XVIIIème siècle, les musiciens voyageaient beaucoup à travers toute l'Europe et se complaisaient à se plagier les uns les autres, sans états d'âme...

Témoin, le dernier compositeur, Vicente Martin y Soler, le plus connu du programme avec Boccherini et qui, à l'inverse de ce dernier, quitta l'Espagne pour l'Italie où il se fit connaître sous le nom de "Martini il Spagnuolo". Il écrivit plusieurs opéras pour des théâtres italiens, entra au service de l'Infant, futur roi d'Espagne, vers 1780, et sur un livret de... Da Ponte, écrivit l'opéra-bouffe Il Burbero di Buon Core, pour lequel Mozart composera deux airs de concert très célèbres : "Chi sa, chi sa, qual sia" (K 582) et surtout "Vado, ma dove, o dei" (K 583) tous deux dédiés à Louise Villeneuve et composés à Vienne en octobre 1789.

Quand on saura que Martin y Soler, encore avec da Ponte, est également l'auteur d'un opéra, Una cosa rara, cité par don Giovanni lors de son dernier souper, on comprendra pourquoi l'ombre de Mozart planait ce soir-là. avec insistance...

C'est tout juste si, grâce à la Séguédille de Violante, on entendit pointer comme un rythme de castagnettes, mais Martin y Soler n'est-il pas, avec Boccherini, le seul à avoir vu le début du XIXème siècle ? Et puis, Violante, n'est-ce pas le prénom de la Marchesa Onesti dans La Finta Giardiniera du même Mozart ?

On peut se prendre à rêver d'un grand concert qui aurait réuni, le temps d'un soir, tous ces génies, tel celui décrit par Alejo Carpentier dans son roman "Concert Baroque", et l'on peut remercier Maria Bayo, Christophe Rousset et tous ses musiciens, de nous avoir permis un songe aussi fabuleux. 


(Christophe Rousset)

La première, pour sa ligne de chant impeccable, la noblesse de son style, son expression sensible et raffinée, sans pathos excessif. C'est toujours un plaisir d'entendre et de voir cette délicieuse artiste, élève de Berganza, qui semble avoir hérité de son charme, de son élégance et de sa musicalité, tout en apportant à son art une touche qui n'appartient qu'à elle. Maria Bayo excelle aussi bien dans la déploration que dans la malice,  sa voix paraît avoir encore gagné en rondeur, et à entendre son exquise Clementina, on se réjouit de sa future Despina à Garnier en juin prochain.

Les seconds pour leur belle sonorité, qui bonifie avec le temps, ce qui était déjà perceptible dans Alcina à la Cité de la Musique L'excellence des cordes et des vents fut particulièrement mise en valeur dans la Symphonie numéro trois de Boccherini, où l'orchestre, au grand complet, fut très brillant.

L'enthousiasme du public fut tel que les artistes offrirent trois bis : un autre air d'Horacio dans Amor aumenta el valor, "Adios prendra de mi amor", brillantissime ; l'air de Trompas "Llegar ninguno intente", très virtuose, et enfin, de Briseida, " Dey dad que las venganzas", proche du lamento où, encore une fois, Maria Bayo fit preuve d'un art consommé de la déclamation, du phrasé, de la vocalise, du trille, pour le plus grand bonheur d'un auditoire où l'on entendait, par ailleurs, beaucoup parler espagnol.

Mais que ceux qui ont manqué ce passionnant concert se rassurent : un disque sera enregistré en mai prochain chez Naïve, pour une sortie prévue à l'automne.
 
 

Juliette Buch
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]