Premier
volet d'une trilogie Berlioz annoncée par l'Opéra du Rhin,
cette production de Béatrice et Bénédict a
été créée à Lausanne en 2002, puis reprise
avec le même succès à Bordeaux l'année suivante.
Elle méritait bien ce détour par l'Alsace tant Jean-Marie
Villégier y déploie des trésors d'intelligence et
de goût, y compris lorsqu'il entreprend de toiletter les dialogues
pour leur donner une nouvelle verdeur shakespearienne. La référence
au dramaturge anglais s'impose indiscutablement pour évoquer ce
travail minutieux, auquel il faut associer Jonathan Duverger, collaborateur
attitré du metteur en scène, Jean-Marie Abplanalp, auteur
de très beaux décors, sobres et astucieux, dont chaque élément
est porteur de sens, Patrice Cauchetier, qui signe d'élégants
costumes élisabéthains, et Natalie Van Parys, qui a réglé
cette reprise avec un soin méticuleux.
L'expérience du théâtre
parlé confère à la régie de Jean-Marie Villégier
deux qualités primordiales à la réussite de ce type
d'opéra-comique : la précision de la direction d'acteurs
et la justesse rythmique. Les scènes de comédie et les pages
plus mélancoliques s'enchaînent sans rupture dans ce spectacle
qui prouve s'il en était besoin la valeur théâtrale
d'un ouvrage que le metteur en scène conçoit comme "un ensemble
cohérent, mais avec des couleurs et des formes multiples". Décors
et costumes se réfèrent à la période shakespearienne,
mais Jean-Marie Villégier sait aussi jouer de l'anachronisme, d'autant
plus savoureux qu'il est soigneusement dosé. Le public, déjà
conquis par le rythme et la drôlerie du propos, apprécie et
applaudit l'apparition de la Cadillac rose au finale. Cette idée
s'intègre parfaitement à un spectacle imaginatif (le tableau
de la crucifixion sur "Ici l'on voit Bénédict, l'homme marié"),
fidèle à l'esprit de l'oeuvre mais délicieusement
irrévérencieux, pratiquant le trait d'humour jamais appuyé
et le gag toujours spirituel. Chaque personnage est gaiement caractérisé
dans cette production qui constitue un véritable modèle de
mise en scène spirituelle et créative, et qui mériterait
encore de nombreuses reprises à l'avenir.
© Opéra du Rhin
Un des impératifs pour un tel
ouvrage est de disposer d'une distribution francophone afin de faire vivre
les dialogues. C'est le cas ici, y compris avec le britannique Ivan Ludlow,
et chacun des chanteurs ajoute à sa parfaite crédibilité
physique un réel engagement. Le trio féminin est très
satisfaisant, même si Monique Zanetti semble en retrait dans son
air, avec un certain manque de projection et une diction légèrement
confuse. Par la suite, elle apporte une contribution plus qu'honnête
aux ensembles et campe une jolie Hero, nimbée de grâce mélancolique.
Elodie Méchain offre à Ursule un timbre riche ainsi qu'une
diction impeccable, participant à la réussite d'un duo nocturne
d'une poésie infinie, puis d'un trio non moins réussi. Pour
sa première Béatrice scénique, Karine Deshayes confirme
son statut de grand espoir du chant français. C'est Didon déjà
qu'on imagine à l'écoute de cette voix ronde et puissante
qui livre son grand air avec autorité, dans la déploration
comme dans la flamme. Elle ne possède pas la hauteur railleuse que
Béatrice Uria-Monzon apportait au personnage, mais son persiflage
bonhomme ne manque ni de charme, ni de sel.
© Opéra du Rhin
Les hommes ne sont pas en reste, à
commencer par le Bénédict plein de verve de Gilles Ragon,
qui réalise une époustouflante prestation scénique.
Vocalement, la diction est précise, le style exemplaire et les moyens
conséquents, même si l'on remarque que les choix de répertoire
récents ont partiellement privé la voix de cette remarquable
clarté d'émission héritée de longues années
de fréquentation du répertoire baroque. Ivan Ludlow et Jérôme
Varnier jouent les utilités avec grâce et humour, tandis que
Jean Ségani campe un désopilant Somarone, cousin germain
de Falstaff. Je n'oublierai pas de mentionner Alain Trétout, formidable
comédien qui nous offre un Leonato d'une drôlerie irrésistible.
Grand défenseur du répertoire
lyrique français, Cyril Diederich dirige l'ouvrage avec une précision
d'orfèvre, maîtrisant parfaitement les difficultés
rythmiques de la partition et trouvant le juste équilibre entre
allant et poésie. Il mène à bon port une formation
orchestrale parfois irrégulière, tandis que les choeurs,
remarquablement préparés par Michel Capperon, confirment
ici leur excellent niveau. Décidément, les fées se
sont penchées cette saison sur la programmation de l'Opéra
du Rhin, qui enchaîne les succès en maintenant un très
haut niveau de qualité scénique. Prochain rendez-vous : Le
Couronnement de Poppée.
Vincent DELOGE
Prochaines représentations
:
22 & 29 mars, 01 & 05 avril
(Strasbourg) 15 & 17 avril (Mulhouse)