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GENES
12/06/05

© Opéra de Gênes
Benjamin BRITTEN

BILLY BUDD 

 Opéra en deux actes (version révisée)

Livret d'E.M. Forster et Eric Crozier
D'après la nouvelle d'Herman Melville
Billy Budd, Sailor. An inside narrative
Opéra en quatre actes, crée à Londres (Covent Garden)
le 1er décembre 1951

Direction musicale : Jonathan Webb
Mise en scène : Willy Decker
Décors et costumes : Wolfgang Gussmann
Production de Wiener Staatsoper
Orchestre et Choeurs du Teatro Carlo Felice
Coro del Teatro Nacional de Sao Carlos Lisbona
Chefs des choeurs : Circo Visco ? Giovanni Andreolli

Edward Fairfax Vere : Robert Brubaker
Billy Budd : Dwayne Croft
John Claggart : Samuel Ramey
Mr Redburn : Robert Hyman
Mr Flint : Peter Savidge
Ratcliffe : Ethan Herschenfeld
Red Whiskers : Martyn Hill
Dansker : Hans Peter Scheidegger

Dimanche 12 juin 2005
Teatro Carlo Felice de Gênes



Billy Budd est avant tout atmosphère, climat. Le tumulte des passions, l'intolérable frustration du désir homosexuel y sont clairement, calmement étalés. Mais avec Britten, point de démonstration tapageuse, plutôt un "non dit" qui nourrit l'oeuvre en entier [lire notre dossier].

Nous sommes au temps des guerres napoléoniennes, sur "L'Indomptable ", espace clos, coupé du monde. Quelques lourds cordages que l'on a du mal à manoeuvrer, un horizon de mercure, deux coursives, quelques drapeaux et des costumes d'époque suffisent à Wolfgang Gussmann pour planter le décor anthracite d'un univers asilaire, cauchemardesque, équivoque, concentrationnaire.

La mort rôde partout, à chaque instant, enrobée de haine, de violence, de trahison, d'amour même (quel que soit son nom)... Ici, point de femme ! Billy Budd est un opéra viril ! On est entre hommes, on le reste. La hiérarchie règle les rapports entre les individus. On y lave son linge sale en famille. Au prix même de corrompre l'innocence puis la détruire. Thème, on le sait, cher au compositeur.

© Opéra de Gênes

Willy Decker l'a bien compris, qui nous brosse en tableaux saisissants, dans un découpage presque cinématographique, un état-major immoral, vitriolé, vérolé, pourri, paumé. On assiste, impuissant, à la lente, inexorable montée de la colère et du dégoût du héros Billy pour la passion honteuse, fantasmatique, conflictuelle du "double" Claggart, véritable kapo flottant, qui, comme Scarpia, reste toujours d'une froideur obstinée, comme claquemuré dans son désir inavoué, inabouti.

Le riche tissu musical de Britten se montre lui insistant, oppressant, nauséeux, agressif, coriace, dans sa claustrophobie d'une effrayante lucidité. Passent, ça et là, quelques pages vraiment lyriques d'émotion ou d'amitié. Autre sommet de la partition : l'attente dans le brouillard du vaisseau ennemi. Sur le seul plan descriptif : une vraie réussite. De la musique de film pour certains ? Oui, mais de luxe !

Impossible d'adresser un reproche sérieux à l'ensemble de la distribution réunie pour les cinq représentations génoises.

Samuel Ramey - Dwayne Croft
© Opéra de Gênes

Dwayne Croft exploite en virtuose un rôle - d'une extrême complexité ! - qu'il pratique régulièrement. Si le physique accuse quelques rondeurs disgracieuses, la voix, toujours jeune et provocante, expose bien l'innocence, la simplicité, la spontanéité, l'optimisme béats du bègue Billy Budd, meurtrier malgré lui. Beaucoup de finesse caractérise également la mélancolique chanson interprétée dans sa cellule avant son exécution...

L'immense Samuel Ramey, Claggart au timbre sombre et maléfique engoncé dans ses chimères, obstinément glacial et calculateur (sans doute l'homme le plus plein de l'opéra) mais aussi Robert Brubaker (Capitaine Vere terriblement humain, tiraillé, durement secoué car lui aussi attiré physiquement par Billy) ont exprimé avec force et dynamisme l'essence même du conflit, le contraste moral qui les séparent.

Simplement parfaite la flopée des seconds rôles, tellement importants dans leurs brèves interventions, et choeurs superlatifs, militairement disciplinés sous la direction de Ciro Visco et Giovanni Andreolli.

Au pupitre, Jonathan Webb, brosse avec compétence et élégance une marine forte, moite, d'une ampleur impressionnante, aux embruns de poudre à canon. 
Et dirige avec passion une histoire... de passions.
 
 

Christian COLOMBEAU
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