Composé en 1857,
Simon
Boccanegra reste l'un des chefs-d'oeuvre les plus aboutis de Verdi.
Voici un argument complexe mêlant intrigues politiques et drames
familiaux, amours problématiques et rivalités de pouvoir...
Le tout se déroulant entre des personnages au profil, psychologique
et musical, étudié avec soin. C'est autant par la richesse
du livret de Francesco Maria Piave, remanié par Arrigo Boito, que
par la surprenante musique du maestro, que cet opéra tranche au
sein des compositions verdiennes. Il a de ce fait gagné en popularité
au cours du XXe siècle, notamment grâce au magistral enregistrement
de Claudio Abbado, même s'il ne remporte pas autant d'adhésion
que La Traviata ou autre Trovatore.
Ce n'est malheureusement
pas la production de l'Opéra National de Paris qui rend justice
à cette oeuvre. La mise en scène n'est qu'une direction d'acteurs
assez inexistante (une mise en espace ?) au sein de décors très
sobres rappelant les lieux de l'action (le perron de la demeure de Fiesco
pour le prologue, la terrasse du palais Grimaldi et une salle du conseil
pour le premier acte ; la chambre ducale au sein du palais s'ouvrant en
arrière-scène vers la mer au cours des deuxième et
troisième actes). L'éclairage ne prend guère soin
de nos yeux et il faut constamment adapter sa vision pour distinguer les
rares évolutions des personnages sur le plateau. Les costumes sont
par contre très élégants et situent l'action dans
les années 1930 où le doge reste un chef intemporel toujours
paré de ses atours du XVe siècle. Doit-on y voir un clin
d'oeil signifiant qu'à la mort de Boccanegra le pays sombrera dans
le fascisme mussolinien, ayant perdu son protecteur ? Aucun autre indice
n'est livré au cours de la représentation.
Il a fallu attendre la scène
de la révolte du peuple pour que Juan Pons endosse enfin son rôle;
après un prologue et des retrouvailles avec sa fille (pourtant splendides
musicalement), à la justesse chancelante et au timbre mal assuré,
il a donné au Doge, jusqu'à la fin de l'opéra, sa
véritable identité avec la preuve d'un réel engagement
et d'une forte expérience scénique. Alliant la grande émotion
dans son décès final à l'autorité de la poignante
"malédiction", l'ensemble des facettes du personnage ont alors été
offertes au public.
Armé d'une voix sombre
au vibrato large, Ferrucio Furlanetto a campé un Jacopo Fiesco
peu convaincant mais, de manière soudaine, surprenant lors de la
scène finale. La force émotionnelle de l'oeuvre aurait-elle
à ce moment touché ce chanteur à la longue carrière
dans un rôle qu'il semblait avoir jusque-là privé d'une
dimension musicale et psychologique essentielle ?
Pourtant personnage-clé
des complots et véritable "méchant" de l'ouvrage, Paolo Albiani,
interprété par Vassili Gerello, a semblé absent durant
toute la soirée. Une interprétation vide, froide et sans
intérêt pour le spectateur. Vincenzo La Scola a peut-être
été le plus déséquilibré de tous les
protagonistes masculins. Ce ténor aux aigus mal assurés était
parfait lorsqu'il s'agissait d'exprimer les doutes et les amours du personnage,
grâce à un timbre brillant aux couleurs magnifiques, mais
il ne fut guère convaincant le reste de temps et même parfois,
franchement désagréable à écouter.
C'est avec plaisir que nous
attendions le retour de Barbara Frittoli sur la scène de l'Opéra
National de Paris; après un air d'entrée toujours délicat
et qui ne pouvait être de la qualité de celui enregistré
en studio, elle a campé une Amelia/Maria digne des pages admirables
dévolues à l'héroïne. Sa voix puissante à
la palette riche et variée a dominé, avec distinction, le
plateau et rempli sans effort le vaste espace de l'Opéra Bastille.
Malheureusement faut-il, d'ores et déjà s'inquiéter,
du vibrato fort large qu'affiche cette jeune chanteuse ? Ce serait fâcheux
avec les moyens et les possibilités dont elle dispose. Il est regrettable
que les choeurs de l'Opéra de Paris n'aient semblé que peu
concernés par leur prestation vu l'importance de la foule dans cette
oeuvre et les qualités dont ils ont encore fait preuve récemment
dans Boris Godounov.
Pinchas Steinberg dirigeait
avec une précision exquise, il a su ménager le juste équilibre
entre le plateau et la fosse. De bonnes surprises pour la reprise de
ce Simon Boccanegra à Paris, mais sans atteindre le niveau de que
l'on aurait pu attendre.
Jean-Bernard Havé