Qui a dit que pour réussir
Simon Boccanegra il fallait conjuguer intimement au rythme de la
mer Méditerranée des voix et un orchestre porteur du drame
? Qui a dit aussi qu'après la production scaligère de Strehler
on ne pourrait, avant trente ans, remonter cet ouvrage, tant les luxueuses
images du génial Giorgio étaient fortes et pour toujours...
une absolue et définitive référence pour une oeuvre
jugée maudite ? Metteur en scène et scénographe du
spectacle niçois présenté en ce début d'année
- en coproduction avec Santander et l'Opéra Royal de Wallonie -
Petrika Ionesco aurait dû se poser ces deux questions et relever
autrement le défi avec un spectacle choc, à la démesure
du livret.
Car de tous les grands Verdi, Simon
est celui qui s'accommode le plus difficilement d'une
"honnête moyenne". Jugez un
peu : une histoire étalée sur vingt-cinq ans, des rapports
de force nus, secs, amers, des ombres, des âmes, le goût et
la lassitude du pouvoir... Ses décors sont jolis, fonctionnels,
on frise parfois l'anachronisme, les costumes de Louis Désiré
n'apportant, eux rien, de nouveau sous le soleil génois.
On cherche aussi en vain la présence
palpable et réelle de la mer, l'iode et les embruns (raisons de
vivre du héros) et surtout les enjeux politiques et sociaux d'un
corsaire devenu Doge par accident ! On se bat souvent à l'épée,
on roule des yeux comme au Grand-Guignol, lors de la scène de la
reconnaissance Simon tourne trop souvent le dos à sa fille retrouvée...
La mystique de la Justice et de la Mort sont ailleurs, la solitude des
âmes, des rues, du pouvoir, des maisons aussi dans ce sympathique
et animé livre d'images, superbement éclairé et enfumé...
Si le courant passe, on le doit alors
avant tout aux chanteurs. En premier lieu au baryton/ténor (comme
Robert Massard !) Vittorio Vitelli : voix faite pour les imprécations,
les malédictions, large, puissante. Vitello chante avec goût,
sans effets inutiles et sa sobriété dans la scène
finale (sous la poupe d'un galion très Vaisseau Fantôme
et là, Ionesco tape dans le mille, car Boccanegra est une sorte
de Hollandais à l'envers, lui qui n'espère plus rien de la
politique et du pouvoir mais ne désespère pas des hommes
!) achève de nous convaincre. Roberto Scandiuzzi chante un Fiesco
de belle envergure. Ces deux artistes font d'ailleurs des affrontements
de voix masculines graves (Verdi les affectionnait tant !) les grands moments
de la soirée.
Gabriele Adorno permet à Walter
Fraccaro de mettre en valeur un timbre et un aigu exceptionnels. Alessando
Paliaga (Paolo Albiani fielleux et retors à souhait) avec le vétéran
Luigi Roni complètent un cast masculin de primo cartello.
Hasmik Papian en Amelia/Maria ? Les
moments donizettiens du rôle lui échappent totalement. Elle,
une Norma, une Tosca, une Aida ! Nous lui pardonnerons bien volontiers
ses élans véristes tant sa sensibilité et son art
du chant sont ceux d'une grande artiste.
Galvanisés, transcendés,
Choeur et Orchestre Philarmonique de Nice, très vivants, nous ont
donné le plus beau Verdi entendu depuis longtemps. Dieu sait si
la musique impressionniste qui ouvre le premier acte peut paraître
triviale. Sous la baguette du génois Marco Guidarini, il n'en est
rien ! A ce degré de raffinement instrumental, on la suit avec un
recueillement stupéfait. Réputée touffue, la partition
respire, son clair-obscur s'aère d'une luminosité rare. Un
bonheur de tous les instants. Le Directeur Musical de l'Opéra de
Nice en totale symbiose avec sa phalange et son équipe, osons le
mot, fait l'amour avec Verdi, la musique, l'opéra et le public.
Exemplaire !
Christian COLOMBEAU