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PARIS
28/05/2006
Stefano Secco
Giuseppe Verdi (1813-1901)
SIMON BOCCANEGRA
Opéra en trois actes avec prologue
Livret de Francesco Maria Piave
Création : La Fenice 1857
Révision Arrigo Boïto : La Scala 1881
Mise en scène : Johan Simons
Décors : Bert Neumann
Costumes : Nina von Mechow
Éclairages : Lothar Baumgarte
Simon Boccanegra : Carlos Alvarez
Jacopo Fiesco : Ferrucio Furlanetto
Maria Boccanegra (Amelia Grimaldi) : Ana Maria Martinez
Gabriele Adorno : Stefano Secco
Pietro : Nicolas Testé
Orchestre et Chœurs de l’Opéra National de Paris
Direction : Sylvain Cambreling
Opéra National de Paris, 28 mai 2006
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Verdi outragé ?
Certes, la nouvelle production de Simon Boccanegra
présentée à l’Opéra National de Paris
transgresse les conventions. Pour sa première réalisation
lyrique, le metteur en scène de théâtre Johan
Simons a choisi de s’attacher au
« signifiant » plutôt qu’au
« signifié » du livret.
Résumons l’argument. Sans l’avoir cherché, le
corsaire Simon Boccanegra, soutenu par les plébéiens, est
élu premier Doge de Gênes. Il accepte cette charge
principalement dans l’espoir d’épouser Maria, sa
bien-aimée, avec qui il a eu un enfant illégitime. En
effet, à cause de cette faute, la jeune femme est retenue
prisonnière par son père, le patricien Fiesco. Comble de
malchance, Maria meurt inopportunément. Fiesco maudit Boccanegra
et pose une seule condition à son pardon : la restitution
de la petite fille, fruit des amours coupables de la défunte.
Hélas, Boccanegra a perdu la trace de l’enfant !
Vingt-cinq ans plus tard, nous sommes au palais des Grimaldi. Leur
soi-disant fille, Amelia, attend son soupirant, le jeune patricien
Gabriele Adorno. Celui-ci a juré la mort du Doge appartenant au
camp ennemi. On apprend qu’Amelia est une enfant adoptée
par les Grimaldi pour assurer leur descendance. Elle est — comme
on peut s’y attendre — la fille disparue de Simon. Ignorant
cette coïncidence, le Doge sollicite la main de la jeune fille en
faveur de Paolo, l’ami plébéien qui a assuré
son élection ! Éprise de Gabriele, Amelia
révèle alors qu’elle n’est qu’une
enfant trouvée. Recoupant son récit, Simon réalise
qu’elle n’est autre que la fille qu’il pensait perdue
à jamais. À partir de là, les intrigues et les
complots vengeurs s’entrecroisent pour aboutir à
l’assassinat de Simon empoisonné par Paolo. Il expire en
homme de cœur après avoir reçu le pardon de Fiesco
et assuré l’avenir d’Amelia avec Adorno :
désignant ce dernier pour lui succéder comme Doge de
Gênes.
Jetant un pont entre la politique spectacle d’aujourd’hui
et la lutte qui opposa au XIVe siècle les patriciens et les
plébéiens génois, Johan Simons et son
décorateur situent l’action dans un lieu
éphémère par nature : un gigantesque podium
de campagne électorale. L’image surdimensionnée des
hommes au pouvoir contraste avec la fragilité de ceux qui, en
chair et en os, s’agitent, se démènent pour
réaliser coûte que coûte leurs ambitions ou leurs
rêves d’amour.
L’œuvre est suffisamment forte pour supporter une mise en
espace-temps insolite, mais non dénuée d’à
propos. En effet, le music-hall électoral et politique de notre
époque n’est pas sans rapport avec le drame historique et
humain mis en musique par Verdi. Ce parallèle est
évoqué par les immenses rideaux à paillettes
avides de lumière, qui délimitent en souplesse
l’espace scénique en brillant de mille feux. Par
l’emploi de ce matériau précieux, Baumgarte a
réussi un travail d’éclairage maîtrisé
qui reste en mémoire.
Passons outre les anachronismes entre le ramage et le plumage,
autrement dit, entre les mots prononcés par les acteurs du drame
et les vêtements très actuels qu’ils portent ;
acceptons la présence insolite des bouteilles d’eau en
plastique dans lesquelles on boit au goulot et celle d’autres
accessoires d’un modernisme insolent ; force est de
constater que cette lecture hardie permet une représentation
resserrée sur l’essentiel. Bien que demeurant toujours
assez statiques, les chanteurs sont visiblement très
engagés émotionnellement dans l’action dramatique.
La beauté du chant s’entend pleinement. Les mouvements des
choristes sont expressifs et justes.
Sans être exceptionnelles, les voix se révèlent
satisfaisantes. Après une entrée remarquée,
Ferruccio Furlanetto chante sa partie avec les notes profondes et les
couleurs que l’on attend de Fiesco. Le ténor Stefano Secco
est plutôt une excellente surprise. Sans égaler Carreras
dans le superbe enregistrement dirigé par Abbado, son Gabriele
Adorno est toujours agréable à écouter et
s’approche de la perfection dans les moments les plus
élégiaques. Dans le rôle de Maria Boccanegra, Ana
Maria Martinez se montre fort vaillante — un peu trop pour une
toute jeune fille —, mais elle nous enchante souvent avec de
jolis sons filés. Dans le rôle du méchant Paolo,
Frank Ferrari qui a le physique de l’emploi confirme les solides
qualités d’un baryton sur lequel on peut compter. Aucun
reproche à faire à Carlos Alvarez, excellent artisan et
chanteur sympathique, qui assume l’écrasant
rôle-titre, mais il faut reconnaître que son Simon
Boccanegra, assez terne et monotone, ne soulève pas
l’enthousiasme.
L’orchestre se contente d’accompagner avec ardeur, au prix
de quelques couacs des cuivres. On aurait évidemment
préféré un véritable échange entre
chanteurs et musiciens que Sylvain Cambreling, assez tendu, semble
incapable de susciter en cette fin de saison parisienne durant laquelle
il s’est fait huer à maintes reprises.
En résumé, une production outrancière, voire
outrecuidante, mais certainement pas aussi outrageante qu’on a pu
le dire.
Brigitte CORMIER
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