Il
est rare de pouvoir s'extasier aussi totalement. Je suis d'autant plus
content de pouvoir vous transmettre mon grand enthousiasme pour cette nouvelle
production de La Bohème de Puccini. Elle a du être
précédée d'une préparation extrêmement
poussée car tout, absolument tout, était réglé
à la perfection, tant musicalement que scéniquement. Et cette
perfection technique, discrète mais nette, laissait le champ libre
à l'essentiel : l'émotion.
Le metteur en scène,
Christoph Loy, pénètre la partition et l'éclaire en
tous ses aspects, bien plus nombreux que l'on ne pourrait le croire. Il
insiste, par exemple, sur la verve comique de Puccini, trop rarement évoquée.
Et pourtant, la scène du sacristain dans Tosca, celle du
mariage dans Madame Butterfly ou, bien sûr, Gianni Schicchi
sont là pour nous le rappeler. Les premières parties des
actes I et IV, ainsi que l'acte II tout entier, sont enlevés de
manière époustouflante. Oui, les quatre compères ont
froid et faim, mais ils s'amusent ! Prodigieuse direction d'acteur avec
un poétique Rodolphe, un virevoltant Marcel, un bondissant Schaunard
et un Colline vigoureux au physique de Bryn Terfel. La mansarde, par deux
fois, prend seulement la moitié de l'espace scénique, ce
qui rend très bien le confinement de l'univers de nos artistes.
Tout s'éclaire chez Momus, plus resto que bistro, avec serveurs
stylés et nombreuse clientèle. Musette y valsera sur le piano
de Schaunard, et l'acte se termine sur l'accord brusque d'Alcindoro découvrant...
l'addition. Cette impeccable adéquation entre scène et musique
se retrouvera à l'acte III, au fabuleux décor hivernal, qui
portera les protagonistes à des élans plus que simplement
beaux : vraiment vécus. L'irruption de Musette au milieu des festivités
à l'acte IV a rarement été mieux rendue : toute la
salle frissonnait. Et l'émotion grandit jusqu'au fatal " Mimi !
" final.
Je n'arrêterai pas
de parler de cette mise en scène, car elle respectait parfaitement
la dramaturgie de la partition, enchaînant les épisodes enjoués
avec les moments de tension de manière très naturelle. Du
grand art ! Oui, je sais, on reproche souvent aux critiques d'opéra
de consacrer plus de lignes à la mise en scène qu'à
la musique. Désolé, pour une fois, je tenais à la
saluer spécialement. Et féliciter Christof Loy pour sa totale
réussite.
J'ai parlé de nos
quatre garçons : ils ont été parfaits, tous, et, en
voyant et écoutant Stéphane Degout, j'ai regretté
que Puccini n'ai pas écrit d'air pour Schaunard. La palme revint
sans doute au Marcel de Peter Mattei, tant aimé du public de La
Monnaie. Mais le Rodolphe de Marco Berti, très clair, a soulevé
un bel enthousiasme, à juste titre. Mention particulière
pour Chris De Moor, percutant Alcindoro. La Musette de Giselle Allen conquit
la salle, dans sa valse au II évidemment, mais aussi au dernier
acte. Quant à Olga Guryakova, jolie Mimi brunette, elle éclaira
l'opéra petit à petit par un timbre et un jeu fragile et
émouvant.
Si j'ajoute que l'orchestre
de La Monnaie brilla de ses mille feux (ah ! le prélude du troisième
acte !) sous la direction du grand Antonio Pappano, je ne puis que vous
confirmer que cette soirée fut en tous points exceptionnelle. Nous
avons vu, regardé, écouté et aimé une Bohème
absolument parfaite. C'est rare. Et c'est beau.
Bruno Peeters