DEUX
"DROLES DE DAMES"...
Elles arrivent, l'une blonde, l'autre
brune, revêtues de robes noires quasiment identiques et elles évoquent
irrésistiblement Catherine Deneuve et Françoise Dorléac
dans Les Demoiselles de Rochefort. Comme elles, elles sont ravissantes
et pleines de charme, et possèdent de surcroît des voix mélodieuses
ainsi qu'une belle musicalité...
D'où vient alors que l'ennui
s'installe très rapidement pour culminer, à la fin du récital,
avec les Duos Moraves de Dvorak les plus insipides qu'il soit donné
d'entendre ?
Tout d'abord du fait que le récital
composé uniquement de duos est un exercice difficile, voire périlleux
- deux grandes spécialistes du genre, Felicity Lott et Ann Murray,
avaient, il y a quelques années, dans le même théâtre
et deux fois au disque (*), contourné l'obstacle
avec maestria en panachant la soirée d'airs chantés
en solo...
Ensuite, il est clair que Bonney et
Kirchschlager ont opté dés le départ pour un style
qu'elles conserveront toute la soirée : le parti pris du "beau son"
à tout prix et du charme "glamour" parfois un peu mièvre,
bien entendu au détriment du sens.
En résumé, elles chantent
tout plus ou moins de la même façon, comme deux jolies femmes
interprétant joliment de la jolie musique.
Le problème est que les oeuvres,
elles, sont, du moins sur le papier, de genres assez variés, de
compositeurs nettement différents et qui habillent des textes allemands,
français et italiens...
Avec les lieder de Mendelssohn,
cela commence plutôt bien : la fraîcheur un peu niaise, bien
que langoureuse, de ces charmantes dames s'accommodant assez de ces duos
populaires et champêtres.
Cela se gâte un peu avec Schumann
dont elles livrent une lecture trop acidulée pour en traduire la
gravité intrinsèque ; passe encore pour Saint-Saëns
et sa Pastorale, mais on en arrive à un véritable
contresens avec Chausson, musicien délicat et nostalgique dont elles
ne savent pas rendre la finesse. Par contre, Gounod, Massenet et Fauré,
chantés par elles, s'en sortent mieux, parce qu'apparentés
- peut-être à tort - à la musique dite "de salon" tant
prisée par les "jeunes filles en fleurs" dont Proust s'entichait.
On eut cependant préféré une Tarentelle plus
piquante et endiablée.
Le pire est à venir après
l'entracte avec ces Serate musicali carrément hors sujet.
Il est clair que l'humour, l'abattage et l'esprit frondeur chers à
Rossini ne sont pas dans leurs cordes. On n'y retrouve ni la diction populaire
et un peu traînante, sans toutefois être vulgaire, du dialecte
vénitien, ni l'énergie ravageuse et jubilatoire du maître
de Pesaro.
Le contresens s'amplifie avec les célébrissimes
Duos moraves dont on a encore dans l'oreille l'extraordinaire version
de Schwarzkopf et Seefried. Là, pour le coup, les deux jolies dames
n'ont rien "compris au film", et, il faut bien le dire, leur accompagnateur,
Malcom Martineau, d'habitude si talentueux, non plus.
Envolé le caractère si
particulier de ces "petits bijoux moraves", passionnés et nostalgiques,
agrémentés d'une pointe d'humour et empreints de ce fatalisme
si caractéristique de la culture d'Europe Centrale. L'univers de
Dvorak n'y est pas, pas plus que l'âme slave et le piano, aussi peu
inspiré qu'elles, ne les aide guère.
Elles offriront deux bis, plutôt
meilleurs que le reste : Die Schwester de Brahms et D'un coeur
qui t'aime de Gounod.
On peut être tenté de
supposer que ce concert avait pour objectif principal d'assurer la promotion
de leur dernier disque, "First
Encounter", où figurent des oeuvres au programme ce soir. Mais
ce qui est éventuellement agréable à écouter
au disque peut se révéler fastidieux dans un récital
live où il est indispensable d'attirer l'attention du public,
de le captiver, même... Cette lecture très "premier degré",
lisse, aseptisée, voire monochrome, où la variété
et le contraste font souvent cruellement défaut, engendre un ennui
poli et de bon ton, joli comme les deux interprètes, mais un ennui
tout de même...
Leurs voix, au demeurant, se complètent
bien, quoique celle de Bonney, plus sonore et colorée, extravertie
et capiteuse, comme sa personne, ait tendance à dominer celle de
Kirchschlager. Cette dernière, malgré son frais minois et
son look d'éternelle adolescente, paraît plus renfermée
et manque singulièrement de charisme. Quelques oeillades un peu
coquines et autres minauderies ne peuvent compenser des insuffisances d'interprétation
notoires. Il manque vraiment à tout cela passion, ferveur, réelle
intelligence et sens profond du texte...
En conclusion, une soirée qui,
sans être foncièrement désagréable, ne laissera
pas un souvenir inoubliable.
Juliette BUCH
(*) Chez
EMI : "Sweet Power of Song" en 1990 et "On wings of Song" en 1992 : un
"must" !