On croyait
tout connaître de Robert Carsen. On murmurait que ses mises en scène
se répétaient, on se disait blasé... et voici qu'il
crée la surprise avec une production d'une totale originalité
et d'une grande intelligence !
Pour ces Boréades, Il
a imaginé un monde dans lequel les fils de Borée, princes
sadiques et pervers, ainsi que leurs partisans, sont des êtres au
physique interchangeable, tout de noir vêtus. Ces individus arrachent
les fleurs et sont armés de parapluie, qui servent aussi bien à
déclencher la tempête qu'à faire tomber les feuilles
mortes ou se protéger des éléments.
Les sujets d'Abaris sont habillés
tout en blanc, font l'amour dans les feuilles mortes et réparent
les dégâts causés par la tempête avec des balais.
Robert Carsen fait de leur souverain, interprété par Paul
Agnew, un anti-héros craquant, conscient de ses faiblesses et habité
par le doute, auquel seul l'amour d'Alphise donnera la force et le courage
de s'opposer aux oppresseurs.
Ces oppositions noir/blanc, brutalité/doutes,
cupidité/amour, aridité/fleurs, donnent lieu à des
images d'une grande beauté, amplifiées par une direction
d'acteurs toute en subtilité. Et la scène finale, dans laquelle
le cruel Borée, converti au bien et équipé de blanc,
protège de son parapluie le couple de héros s'embrassant
parmi les fleurs sous une ondée bienfaisante, est particulièrement
rafraîchissante.
© Eric Mahoudeau
Le seul reproche qu'on puisse adresser
à cette mise en scène, c'est de compliquer l'histoire, de
la rendre moins compréhensible à un public qui ne connaît
pas forcément l'oeuvre. De plus, les options de Robert Carsen deviennent
surtout lisibles à partir de la deuxième partie, c'est-à-dire
l'acte III.
C'est un peu la même chose avec
la chorégraphie. Pendant toute la première partie, on voit
des danseuses musclées, cheveux serrés en chignons austères,
vêtues de maillots de bain noir, qui font fortement penser à
un groupe de nageuses est-allemandes occupées par une séance
de body building sur un rythme différent de celui de la musique,
et subitement, après l'entracte, tout se met en place, la chorégraphie
(contemporaine, est-il besoin de le préciser) acquiert miraculeusement
sens et harmonie.
La distribution vocale est presque
à la hauteur de cette belle mise en scène. Presque, car on
se demande vraiment ce que Barbara Bonney vient faire en Alphise. Elle-même
a l'air de se le demander, d'ailleurs. Les vocalises sont savonnées,
les aigus tirés, le timbre bizarrement étouffé. C'est
une autre paire de manches avec la distribution masculine, carrément
enthousiasmante.
Les fils de Borée, prétentieux
autant que vicieux, sont interprétés par Stéphane
Degout et Toby Spence, l'un comme l'autre dotés d'un beau timbre,
d'une technique en béton et d'une diction parfaite. La vocalise
de Toby Spence sur le mot "jouissons" alors qu'il effectue un strip-tease
est un des moments de pur plaisir de la soirée. Leur cruel père
n'a rien à leur envier, si ce n'est que dans les rôles de
méchant, Laurent Naouri a tendance à perdre de vue le legato,
quoi qu'il en soit, c'est du gaspillage de ne pouvoir faire appel à
lui que dans le dernier acte.
Gardons le meilleur pour la fin avec
un Paul Agnew en état de grâce, à qui Abaris convient
spécialement bien. Le rôle est écrasant car il quitte
peu la scène, il est ainsi l'unique soliste de tout l'acte IV et
il fait merveille, tout particulièrement grâce à une
science confondante de la voix mixte.
Au final, une excellente soirée,
même si on a pu noter quelques couacs de la part des cors, et un
léger manque d'allant de l'orchestre des Arts Florissants dans les
danses rapides.
Catherine Scholler