Parsi-fade
Les apparitions parisiennes de Pierre
Boulez à la tête d'un opéra sont trop rares pour que
le tout-Paris ne se soit pas précipité à la lointaine
Cité de la Musique pour ce simple extrait de "Parsifal", d'autant
que l'illustre chef avait récemment déclaré qu'il
ne dirigerait les opéras de Wagner qu'à Bayreuth, seule salle
adaptée à ces ouvrages.
L'auditorium accueillait donc un public
bizarrement hétérogène, où les abonnés
fidèles, de milieux plutôt populaires (le prix des places
plafonne à 20 euros), côtoyaient critiques branchés,
lyricomaniaques et veuve de président de la République...
L'événement serait-il
à la hauteur des attentes du public ?
Le programme du concert commence par
les maigres 20 minutes de l'adagio de la Xe symphonie de Mahler
; un choix étonnant, qui semble tenir du remplissage, mais qui se
révèle judicieux : prosaïquement, il permet à
l'orchestre de se mettre en jambes sans que ce tour d'échauffement
l'épuise ; musicalement, la mise en place est irréprochable
et Boulez nous fait découvrir des rapprochements intéressants
avec le Wagner de Tristan.
Après un entracte plus long
que la première partie (il faut laisser le temps aux ministres,
ex-ministres et futurs ex-ministres d'aller faire leurs vénérations
en coulisses), nous attaquons le morceau de choix avec l'acte II de Parsifal.
Robert Dean Smith interprète
un Parsifal très correct (il est vrai que le rôle n'est pas
trop exigeant vocalement), à l'aise dans cette tessiture centrale,
au timbre vaillant et à la puissance suffisante ; il manque toutefois
de rayonnement intérieur. Ajoutons une tendance à "jouer"
le rôle un peu déplacée dans cette version concert
un rien glacée : quoi de plus saugrenu que de faire mine de brandir
une lance qui n'existe pas (ce qui se traduit par des mouvements du poing
fermé en fonction de la position supposée de la lance : il
faut quand même pas mal d'imagination chez le spectateur !).
Roman Trekel s'attaque à Klingsor
avec une motivation certaine (dans son énervement, il a même
tendance à faire valser sa partition d'un revers de main, ce qui
le conduit à rechercher frénétiquement la page dans
les instants qui suivent). L'interprétation est sommaire, la voix
un peu blanche et le volume limité malgré la disposition
en contrebas de l'orchestre.
Sa Kundry est une Michelle De Young
complètement hors de propos : inutile ici de chercher les trois
facettes du personnage, tour à tour maudite, séductrice puis
mystique. Inutile de rechercher quoi que ce soit, d'ailleurs : c'est un
chant uniforme, sans couleurs, bien propret et bien élevé,
la Comtesse des Noces égarée au lupanar ! Seuls ses
"si" bécarre échappent au traitement "Monsieur Propre" :
il faut dire que leur émission n'est guère... catholique
(un louable souci de coller au personnage, sans doute...).
Côté choeur, on reste
également sur sa faim : certes, la partition ne pose pas de problèmes
aux interprètes et ceux-ci sont bien préparés, mais
ces voix blanches et fixes seraient plus appropriées aux concerts
d'oratorios (vous savez, ces programmes semi-amateurs dans les églises
: Vivaldi, Haendel et en bis un extrait des Carmina Burana !). Un
choeur de vierges pour les filles-fleurs, c'est vraiment le comble !
Des choix vocaux entièrement
assumés par la lecture de Boulez : évitant ou plutôt
fuyant tout pathos, le chef entreprend une lecture décapante de
la partition. Pour Boulez, l'émotion doit ressortir de la partition
seule et non d'une interprétation extérieure "non objective"
imposée par un chef. Le parti pris est intéressant intellectuellement,
voire révolutionnaire : c'est refuser de voir en l'opéra
un art d'interprétation. Le résultat est discutable : on
apprécie la maîtrise technique, la nouveauté, des sonorités
inattendues, mais où est le drame dans cette lecture désincarnée
(un contre-sens quand on songe que le christianisme est justement la religion
de l'incarnation divine) ? Plus simplement, supporterait-on cela durant
trois actes ?
Techniquement, on admirera le travail
fait avec l'Orchestre du Conservatoire (dont il faut rappeler qu'il ne
s'agit pas d'un orchestre professionnel ni même d'une assemblée
de premiers prix mais bien d'élèves en cours de formation).
Pas une faille chez ces jeunes musiciens attentifs, et un résultat
qui pourrait faire pâlir d'envie certains orchestres professionnels
(il me revenait en mémoire quelques soirées de l'Orchestre
de Paris...). Un seul reproche, le comportement d'un certain nombre de
musiciens en pleine crise pubertaire, tirant ces mines d'adolescents revenus
de tout ! (On leur pardonne, ils sont trop bons musiciens !).
Au global, une soirée un peu
décevante, conclue toutefois par des applaudissements nourris aux
saluts, mais sans grand déchaînement.
Placido Carrerotti