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BRUXELLES
22/02/2006
© DR
Jean-Baptiste MOLIERE (1622-1673)
& Jean-Baptiste LULLY (1632-1687)
le Bourgeois Gentilhomme
Comédie-ballet dans sa version originale et intégrale de 1670
Vincent Dumestre, directeur artistique
Benjamin Lazar, metteur en scène
Cécile Roussat, chorégraphe des intermèdes et ballets
Adeline Caron, scénographe
Alain Blanchot, costumier
Christophe Naillet, éclairagiste
Mathilde Benmoussa, maquilleuse
Louise Moaty, assistante metteur en scène
Comédiens
Olivier Martin Salvan, Monsieur Jourdain
Nicolas Vial, Madame Jourdain
Louise Moaty, Lucile
Benjamin Lazar, Cléonte, le maître de philosophie
Anne Guersande Ledoux, Dorimène
Lorenzo Charoy, Dorante, le maître d’armes
Alexandra Rübner, Nicole, le maître de musique
Jean-Denis Monory, Covielle, le maître tailleur
Julien Lubek, le maître à danser
Chanteurs
Arnaud Marzorati, le Muphti, le vieux bourgeois babillard, l’élève
Anne Magouët, la musicienne, la femme du bel-air, l’Italienne
François-Nicolas Geslot, le 1er musicien, la vieille bourgeoise babillarde,
un Espagnol, un Poitevin
Serge Goubioud, un Gascon, un Poitevin, un chanteur
Lisandro Nesis, un Espagnol, un Gascon, un chanteur
Emmanuel Vistorky, un Espagnol, l’homme du bel-air, un chanteur
Arnaud Richard, l’Italien, le Suisse
Danseurs
Caroline Ducrest, un Espagnol, un Poitevin, un laquais
Julien Lubek, Arlequin, le donneur de livre, un garçon tailleur
Cécile Roussat, un garçon tailleur, un Espagnol, la siamoise de la vieille bourgeoise babillarde
Flora Sans, un Trivelin, un garçon tailleur
Gudrun Skamletz, Scaramouche, un garçon tailleur, un importun
Akiko Veaux, un Trivelin, un importun, un laquais
Instrumentistes
Le Poème Harmonique
Musica Florea (Marek Stryncl, directeur artistique)
Vincent Dumestre, direction
Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, 22 février 2006.
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Standing ovation pour les deux Baptiste !
Ce n’était pas gagné d’avance, loin
s’en faut. L’immense vaisseau du Palais des Beaux-Arts
pourrait-il accueillir le théâtre intimiste et les
artifices délicats du tandem Dumestre-Lazar ? Les
instrumentistes se sont appropriés les premiers rangs du
parterre alors qu’un vaste rideau noir, plus sinistre qu’un
catafalque, envahissait le plateau. Excité à
l’idée de contempler des clairs-obscurs caravagesques, le
spectateur attend avec impatience le début du spectacle. Il lui
faut quelque peu déchanter en découvrant la lueur
précaire offerte par les bougies de la rampe et des visages qui
baignent plus souvent dans la pénombre que dans une
lumière dorée… Les options, radicales, de cette
production à nulle autre pareille ont déjà
été largement commentées sans qu’il soit
nécessaire d’y revenir, sinon pour souligner tout le
paradoxe d’une reconstitution qui se veut fidèle, mais
ajoute au comique des auteurs celui d’un exotisme
savoureux : ce vieux françois
dialectal, recréé selon les préceptes
d’Eugène Green, et qui produit sur l’auditoire
contemporain un effet forcément inconnu au Grand Siècle.
Laissons là cet étrange anachronisme pour relever
l’essentiel : le plaisir, manifeste, bruyant même du
public, plus bigarré et surtout plus jeune qu’à
l’ordinaire. Il y a d’ailleurs fort à parier que
bien des adolescents pénétraient pour la première
fois ce soir dans la salle Henry Le Bœuf, sans parler des
théâtreux et des curieux attirés par la
réputation flatteuse de ce son et lumières d’un
autre âge.
Les admirateurs de Molière sont plus à la fête que
ceux de Lully. Chétive formation au son grêle et aux
coloris éteints, la phalange rassemblée par Vincent
Dumestre peine à évoquer l’orchestre rutilant dont
disposait Lully. Heureusement, une fois passé
l’échauffement, le propos s’anime, les rythmes se
précisent, le chef guitariste retrouve sa verve et distille de
purs moments de poésie, les danses crépitent et la
turquerie déménage juste ce qu’il faut pour offrir
une apothéose brillante, à défaut
d’être véritablement inoubliable. Nous sommes loin
des Lully de Christie, Rousset ou même Reyne ! En outre,
malgré un joli trio pastoral au premier acte, seul Arnaud
Marzorati, séduisant Mufti, tire son épingle du jeu au
sein d’une équipe vocale dépassée.
François-Nicolas Geslot, hier encore délicieuse
haute-contre, doit être souffrant, car la tessiture lui pose
problème et le contraint à singer les dessus mués
tant décriés à la cour de Louis XIV. On ose
à peine imaginer ces chanteurs dans un répertoire un
tantinet plus exigeant… Passons !
Si ce Bourgeois captive et
fait mouche, c’est parce que Benjamin Lazar et sa troupe
l’abordent avec une âme d’enfant,
émerveillés et prompts à partager leur
enthousiasme. C’est le triomphe de la commedia dell’arte
et la danse, entre gestique baroque et improvisation, pour la plus
grande joie des spectateurs ébaubis, mais pas au
détriment du texte de Molière que ces acteurs
vénèrent et servent avec brio. D’aucuns leur ont
reproché d’estomper la satire et de se focaliser sur le
rire, mais cette comédie ballet est avant tout un
divertissement, certes spirituel, mais où la critique sociale
pimente le comique sans être une fin en soi. C’est oublier
aussi la cible première de l’ouvrage : cet obscur et
arrogant messager de la Sublime Porte sur lequel le Roi Soleil,
berné, avait dardé tous ses rayons ! Alors bien
sûr, les sots du bel air, comme dit Saint-Simon, les fats qui se
piquent d’art et de belles manières, les aristos sans
scrupules et les minaudières ridicules en prennent pour leur
grade, mais le texte de Molière est assez éloquent pour
qu’il ne soit pas nécessaire d’en rajouter ni de
surjouer.
Le Bourgeois d’Olivier Martin frappe par sa bonhomie plus que par
sa jactance, sa candeur, sa soif d’apprendre le rendent
éminemment sympathique, presque attachant. En Madame Jourdain,
Nicolas Vial lui donne une réplique cinglante ; dommage
toutefois qu’il n’ait pas les dispositions d’un
Michel Serrault pour contrefaire la voix de femme, car sa
crécelle lasse rapidement. Si les jeunes premiers ont pour eux
la beauté du diable (Louise Moati/Lucile et Benjamin
Lazar/Cléonte), la Nicole volubile et au caractère
bien trempé d’Alexandra Rübner et le matois Covielle
de Jean-Denis Monory ne manquent pas non plus de charme. Mais la palme
revient à l’extraordinaire composition de Benjamin Lazar
– décidément l’homme providentiel de ce Bourgeois !
– grimé en maître de philosophie,
irrésistible de drôlerie et de faconde. Un
régal ! Une longue standing ovation salue les artistes,
visiblement ravis, comme un soir de première.
Bernard Schreuders
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