L'Opéra-Théâtre
d'Avignon et des pays de Vaucluse accueillait ces 8 et 9 octobre la première
étape française d'une coproduction pour laquelle il s'est
associé (réalisation des costumes en ses ateliers) au Poème
harmonique et à la Fondation Royaumont, avec l'appui de nombreux
partenaires parmi lesquels le prestigieux Holland Festival Oude Musiek
d'Utrecht (Pays-Bas) et l'Arsenal de Metz.
Il s'agit de la recréation
de la version originale de la comédie-ballet de Molière et
Lully Le Bourgeois gentilhomme, fruit d'une commande de Louis XIV destinée
à exorciser le mauvais souvenir de la réception fastueuse
et disproportionnée qu'il avait réservée à
un diplomate de second ordre envoyé par la Sublime Porte. En présence
du souverain, l'auteur comédien et le musicien, dont c'était
la onzième collaboration, interprétèrent leur ouvrage
au château de Chambord le 14 octobre 1670.
L'âme de l'entreprise, Vincent
Dumestre, explique sa visée : "rendre à cette oeuvre ce qui
faisait toute la force des spectacles baroques au XVIIe" par l'association
de comédiens, de danseurs, de musiciens et de chanteurs entraînés
à un long travail en commun. Jeu sur instruments anciens, costumes
parfois proches de la vérité historique grâce à
des inventaires d'époque, maquillage au blanc, gestuelle et diction
inspirées des recherches d'Eugène Green - dont Benjamin Lazar,
le metteur en scène, fut naguère l'élève -
pas de danse cherchant l'équilibre entre le beau et l'expressif,
éclairage entièrement à la bougie par la rampe et
des lustres, décors constitués de grands panneaux de feuilles
de métal patinées et huilées qui évoquent aussitôt
la marqueterie de Boulle, tout, absolument participe à la réussite
de ce concert entre les arts que réclame la comédie-ballet.
L'objectif, disons-le sans ambages,
est atteint pleinement dans la limite des moyens disponibles. Passé
le choc du jeu frontal, de la diction et de l'éclairage inhabituels,
on se laisse persuader de la pertinence d'une gestuelle qui prive le spectateur
de l'illusion du naturel dans une entreprise réunissant les artifices,
même si on peut regretter une certaine uniformisation qui affaiblit
la caractérisation des personnages, par exemple ceux de Dorimène
et de Madame Jourdain. La mise en scène de Benjamin Lazar - hormis
une inopportune entrée du Bourgeois en chaise à porteur,
accessoire plus tard utilisé à bon escient lors de la querelle
des Maîtres - exploite intelligemment le texte que le nombreux public,
moitié ados, moitié rassis, découvre ou retrouve manifestement
avec plaisir. Tous les acteurs sont à féliciter, même
si Monsieur et Madame Jourdain - Olivier Martin Salvan et Nicolas Vial
- ainsi que Covielle - Jean-Denis Monory - s'imposent dans les rôles
les plus porteurs.
Les intermèdes chantés
et dansés s'insèrent avec fluidité dans l'action.
L'on apprécie l'invention de Cécile Roussat, la chorégraphe,
dans une recherche de pas et d'enchaînements qui se distinguent de
la danse de cour et esquivent l'anachronisme d'esthétiques ultérieures.
Les interprètes ont toute l'élégance, la prestesse
et la maîtrise des codes souhaitables.
Vincent Dumestre, vigilant et scrupuleux,
dirige Le Poème Harmonique et l'ensemble tchèque Musica Florea.
Les 24 instrumentistes, tous spécialistes de la musique baroque,
répondent avec brio, souplesse et précision aux sollicitations
du chef comme s'ils ne formaient qu'un seul et même ensemble. Si
la guitare se distingue - on sait que Louis XIV en jouait - aucun pupitre
n'émerge, car tous excellent et s'allient dans un savoureux équilibre.
Très homogène aussi,
le groupe des chanteurs n'appelle que des éloges. Seuls, en duo
ou en trio, dans la pastorale ou les chansons à boire, dans les
ensembles de la Turquerie et les intermèdes du Ballet des Nations,
ils contribuent à l'oeuvre commune sans chercher à se valoriser
individuellement. Seul le goût que l'on peut avoir pour tel ou tel
timbre pourrait amener à faire des distinctions, tant le souci de
l'unité stylistique est partagé.
On le voit, ce spectacle original,
bien qu'il réunisse une très impressionnante diversité
de talents, atteint à une cohérence rare qui justifie l'entreprise
et explique sa réussite. Nous permettra-t-on de regretter que pour
un projet et un résultat si dignes d'intérêt, ceux
grâce à qui l'entreprise fut matériellement possible
n'aient pas accordé davantage de moyens financiers ? L'orchestre
de Lully comptait probablement une quarantaine de musiciens, plutôt
que vingt-quatre, et l'effectif des danseurs était certainement
plus important... Autrement dit, on est passé à côté
du grand spectacle tel qu'il a sans doute été monté
à Chambord. N'est-il pas rageant que ce soit pour des motifs d'intendance,
quand le pari artistique était largement tenu ?
Maurice SALLES
Prochaines représentations
le 12 octobre au Havre
les 15,16 et 17 octobre sur la Scène
Nationale de Cergy-Pontoise
les 19 et 20 octobre au Théâtre
Jean Vilar de Vitry-sur-Seine
les 11 et 12 novembre au Trianon
de Paris
le 18 novembre à l'Arsenal
de Metz