À VOILE ET A VAPEUR
Après le peep-show zambellesque
de Bastille, la nouvelle production du Lyric Opera de Chicago laisserera
des regrets aux voyeurs lyricomanes : autant vous le dire tout de suite,
tout le monde reste habillé et Budd n'exhibera sa poitrine qu'un
court moment à l'acte I et enchaîné à l'acte
II.
De ce point de vue, la production parisienne
frisait le contresens : Vere n'est pas amoureux d'un Billy bodybuildé
(des marins musclés, il n'y a que ça sur un navire) ni Claggart
jaloux d'une belle musculature. Certes, Billy n'est pas un gringalet (il
tue Claggart d'un seul coup de poing), mais sa beauté est d'abord
angélique, et autant intérieure qu'extérieure.
À cet égard, le physique
de beau ténébreux de Nathan Gunn ne correspond guère
au rôle (c'est quand même pas aussi dramatique qu'un Fabio
Sartori en Duc séducteur).
Vocalement, son premier acte est un
peu terne. Le second est en revanche magnifique, culminant dans le monologue
de Bill enchaîné (tenue vestimentaire déjà évoquée,
éclairages plongeants), d'une intense émotion.
Contrairement au "Guerre et Paix"
de Bastille (qui m'avait fait penser : "quel dommage que d'aussi gros pectoraux
cachent d'aussi petits poumons"), la voix passe aisément l'orchestre.
À ses côtés, Samuel
Ramey peine à trouver ses marques en Claggart : bridé dans
cet histrionisme qui fait merveille dans toute sorte de Méphisto(s),
le Grand Sam se limite à interpréter un Scarpia de bateau-lavoir.
Heureusement, la voix sait se colorer magnifiquement, atteignant un noir
absolu dans les phrases les plus maléfiques. Pour les fans pour
qui ce point constitue un baromètre importan : pas de vibrato exagéré.
Déjà entendu à
Paris, Kim Begley est un Vere encore plus bouleversant qu'à Bastille,
même si son timbre nasal n'est pas des plus agréables.
Tous les seconds rôles sont magnifiquement
chantés et joués (une habitude aux US décidément)
et les choeurs sont de grande qualité.
Ni traditionnelle ni ultra-moderne,
la production est avant tout efficace : la scène finale de Vere,
vieillard vêtu de haillons, est un sommet d'émotion; petit
à petit, le cadavre de Bill pendu se détache de l'obscurité
; puis Vere tombe inanimé alors que le noir absolu tombe soudainement
sur la scène.
Enfin, la superbe direction de Soeur
Andrew Davis vient couronner le tout, et renvoie le pauvre Gary Bertini
aux oubliettes.
Placido Carrerotti