Vision
fantasmée de la geisha succombant au charme occidental, Madame
Butterfly est l'un des plus célèbres opéras de
l'histoire. Cette histoire tragique d'amour et de trahison n'a pas cessé
d'inspirer les compositeurs... jusqu'à Boublil et Schönberg.
Nagasaki... La toute jeune Cio-Cio-San,
surnommée Madame Butterfly et mariée au lieutenant américain
Pinkerton dont elle a eu un fils, attend fidèlement le retour de
son époux, trois ans après son départ. Condamnée
par sa famille pour s'être convertie au christianisme, elle vit dans
la solitude... et l'illusion : Pinkerton n'a jamais rien vu d'autre dans
cette union qu'un mariage de convenance. Quand enfin il revient au Japon,
accompagné de son épouse américaine, le destin frappe
à la porte de Butterfly... Ne se considérant "ni pute, ni
soumise", la mort sera la seule issue, l'ultime délivrance pour
notre malheureuse héroïne.
Dans un décor unique, traditionnel
et fonctionnel, la mise en scène de Mireille Laroche a tout pour
séduire : une lecture claire du livret, aucune transposition maladroite,
une direction d'acteurs qui frise l'ascèse, une gestuelle simple
et, par-dessus tout, cette image finale forte, presque insoutenable, qui
voit Cio-Cio San se donner la mort, sa ceinture de kimono la reliant, tel
un long cordon ombilical, à son enfant. Crise de larmes garantie
sur fond de ciel sanguinolent ! Bref, une réalisation très
aboutie, sans trop de "japoniaiseries" de carte postale, la nudité
crue d'un drame tellement humain car simplement immoral.
La Slovaque Eva Jenis, habituée
du rôle, dessine au fusain une Butterfly volontaire et, passée
sa nuit d'amour, son interminable attente, ses emportements, ses rancoeurs,
sa résignation ultime sont à jamais les nôtres.
Le rôle, elle le connaît
et tient à nous le faire savoir. La jolie cantatrice ne force jamais
ce frêle équilibre, voulu par Puccini, entre pudeur et mélancolie,
entre langueur poétique et brusquerie réaliste. Une sympathique
composition d'autant que la ligne de chant est très pure et les
accents dramatiques dans les forte ou les demi-teintes fort justes.
Puccinien émérite, l'Italien
Cesare Catani, à la jolie carrière internationale, campe
un goujat de première classe. Physique avantageux, voix solaire,
sensible, passionnée, un rien débraillée qui charrie
la rage de l'amour et le cynisme d'un séducteur italo-américain
avec une stupéfiante désinvolture.
Plaisir de retrouver le Nîmois
Olivier Heyte en Sharpless. Le rôle n'est pas des plus faciles, certes,
mais voilà un Ponce Pilate - aux pleurs bien tardifs - dramatiquement
solide dont la voix de baryton fière et cuivrée sonne merveilleusement
dans le théâtre avignonnais.
Toute aussi attachante se révèle
la compassion de Suzuki (Christine Labadens) face au Goro maquereau/obséquieux
de Rodolphe Briand, meilleur acteur que maître chanteur. C'est lui,
ne l'oublions pas, qui relie en les caricaturant les deux cultures en présence.
Minime réserve d'autant que
les brèves interventions de Nicolas Testé (Bonze) ou Francis
Dudziak (Yamadori) sont fort bien mises en place.
Succès mérité
pour Vincent Barthe. Jamais larmoyante sa direction équilibrée,
incisive, sans orientalisme factice, sans pathos inutile, délivre
un Puccini familier, d'une constante musicale et d'un souffle certain.
Christian COLOMBEAU