C O N C E R T S
 
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Palais des Beaux-Arts, Bruxelles

31/10/2001

 
Cadmus et Hermione

Jean-Baptiste Lully

Académie Baroque Européenne d'Ambronay
Christophe Rousset, Direction

Boris Grappe, Baryton
Ingrid Perruche, Soprano
Vincent Billier, Basse
Penni Clarke, Soprano
Emmanuelle Fruchard, Soprano
Ales Procházka, Basse
Thomas van Essen, Basse
Daphné Touchais, Soprano
Thibaut Lenaerts, Ténor
Jean Teitgen, Basse
Elizabeth Calleo, Soprano

Version concertante

 


L'idée est belle, stimulante... Printemps 1673 : la création de Cadmus et Hermione porte sur les fonds baptismaux la tragédie en musique, dont les Français s'empressent de proclamer la supériorité sur l'opéra italien. Mais alors que ce dernier triomphe partout en Europe, le succès de la tragédie en musique ne dépassera jamais les frontières de l'Hexagone. Été 2001 : à la faveur du renouveau baroque, c'est une troupe de jeunes musiciens issus des conservatoires européens qui ressuscitent le prototype de la tragédie lyrique.

En fait, Cadmus et Hermione n'est pas vraiment une tragédie, mais plutôt une tragi-comédie : des personnages grotesques côtoient héros et dieux et leurs intrigues comiques se mêlent à l'argument principal, couronné par un dénouement heureux; de toute évidence, l'ouvrage appartient à la veine pré-classique de Quinault. En outre, le personnage de la Nourrice, campé par une haute-contre travestie, mais aussi quelques violents contrastes qui innervent la musique de Lully trahissent également ses influences vénitiennes. Ceci dit, ces éléments baroques ne nuisent pas à la cohérence de l'oeuvre, qui épouse déjà la structure ainsi que la morale héroïque et guerrière du théâtre classique.

La première tragédie en musique de l'Histoire est beaucoup plus qu'un coup d'essai, le concert en apporte la preuve, éclatante. Même privé des machines, des effets spéciaux et des ballets qui enchantaient le public du Jeu de Paume, le théâtre musical imaginé par Lully et Quinault fonctionne à merveille : au fil d'un récitatif limpide et animé, le verbe est souverain et nous captive, les airs, peu nombreux, sont investis d'une réelle fonction dramatique et les choeurs apportent à l'ouvrage un souffle et une grandeur inconnus de l'opéra italien. Les monologues de Cadmus et Hermione, leurs adieux déchirants livrent une clef essentielle de la tragédie lyrique, à mille lieues de la grandiloquence légendaire de Lully : une économie de moyens, un sens aigu des affects et une justesse dramatique extraordinaire. Mis à nu, surexposés, les artistes doivent impérativement transcender la prosodie, oublier les notes, sous peine d'engendrer un ennui fatal. Ce langage dépouillé peut se passer de beaux organes, mais ne souffre pas de médiocres acteurs.

Qui n'aurait aimé voir Diane descendre du ciel sur un paon ou les statues d'or sauter de leur piédestal pour danser ? Les didascalies nous font rêver, mais s'il est vrai que le spectacle n'est pas total, la magie opère grâce, précisément, à la performance - le mot n'est pas trop fort - des acteurs-chanteurs, vivifiée par une mise en scène drôle et inventive, et magnifiquement soutenus par un orchestre vif et chatoyant et un continuo subtil.

Beauté racée, dont la fière allure n'est pas sans rappeler Benoit Magimel (Le Roi danse), Boris Grappe possède une aura vocale et scénique irrésistible. Son Cadmus, insolent de projection et d'assurance, éclipse le reste du plateau, à commencer par l'Hermione, pourtant idéale de délicatesse et de pudeur d'Ingrid Perruche. La plupart des rôles sont défendus avec panache et cet engagement compense la verdeur de certaines voix. La distribution laisse parfois à désirer : Mars et Jupiter, desservis par un chant fruste et qui ânonnent leurs tirades, font piètre figure à côté des mortels, mais cette faiblesse est bien peu de choses et ne gâche pas longtemps notre plaisir.

Cette réussite n'aurait pas été possible sans l'encadrement exceptionnel dont ont bénéficié les stagiaires sélectionnés par l'Académie d'Ambronay, initiés aux arcanes du style français, de la déclamation à la gestique, en passant par le jeu de scène et l'expression chorégraphique. Il fallait aussi la détermination et le charisme d'une personnalité comme Christophe Rousset pour fédérer une vingtaine de langues et de cultures, unifier les sensibilités et les attentes individuelles. Je me prends à rêver que l'Opéra de Versailles, mais aussi l'Opéra Garnier ou la Monnaie accueillent enfin les chefs-d'oeuvre mésestimés du Grand Siècle...
 
 

Bernard Schreuders
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