Bernstein, l'Offenbach américain
? Et pourquoi pas. Mais combien nous semble plus proche le livret de ce
Candide sauce Broadway (immortalité de Voltaire et des problèmes
qu'il soulève dans son conte philosophique !) que toutes ces allusions
salonardes Second Empire ! Et pourtant, à la création en
1956, un four complet pour celui qui avait déjà à
son actif des musiques de film, West Side Story en gestation, des
symphonies, des quatuors, et dirigeait rien moins que la Callas à
Milan...
L'oeuvre est hybride. Le texte joué
et les interventions de Voltaire himself suivent assez fidèlement
le roman. Font toujours mouche les allusions au fanatisme, à l'intolérance,
aux malheurs de la guerre, à l'exploitation de l'homme par l'homme,
à la cupidité et à la bêtise humaine. Bref,
la substantifique moelle des volontés du Patriarche de Ferney est
respectée.
Musicalement, dès l'ouverture
claquante, clinquante comme un grandiose feu d'artifices, on prend son
pied. Un bain de lait continuel. Pas une seconde d'ennui, pas un temps
mort. Les influences (des références admiratives pour le
compositeur) sont nombreuses : Mahler, Chostakovitch, Puccini même
dans les airs du ténor. L'oratorio pointe même son nez dans
la scène de l'autodafé ou dans les choeurs mystiques.
On reste bien sûr dans le musical
de pure souche américaine. Pour une "comédie musicale" jubilatoire,
finalement inclassable dans son genre.
Candide demande un vrai ténor
lyrique ou un chanteur de variété endurant. Le rôle-tire
ne peut se satisfaire d'à-peu-près. Ses trois airs, sensuels,
hyperboliques - donc communicatifs -, lents, truffés d'un sentimentalisme
du meilleur aloi, font chavirer le public. James Valenti (habitué
du grand répertoire) a mis, dès le premier, le public dans
sa poche. Voix sans une once d'aspérité, aigu lumineux, timbre
pur... à l'image du héros.
Très attendue - "Glitter and
be gay" est désormais le tube que tout soprano colorature se doit
d'avoir à son répertoire -, Leah Partridge n'en a fait qu'une
bouchée... de bon pain. Bien en place, sa Cunégonde a tout
pour séduire.
Elle est solide, d'ailleurs, la distribution
féminine génoise. La Old Lady de Tichina Vaughn (physique
et voix alla Shirley Verrett) est désopilante et semble péter
les plombs dans "I'm easily assimilited", la Paquette de Daniela Pini toute
de sucre et de miel.
Côté masculin, on nage
dans le luxe. Stefano Antoniozzi (vraie basse bouffe qui promène
ses Don Pasquale, Melitone e tutti quanti... sur la planète)
dessine et chante un Pangloss irrésistible de verve et de vis
comica.
Rien à jeter donc dans le reste
de la distribution. On sent l'esprit de troupe, le plaisir de défendre
une partition qui nous change de toutes ces âneries - certaines trouvent
pourtant leur public - style Star Ac' ou Gladiateur...
Ajoutez à tous, en plus de leur
talent de chanteurs, une réelle présence scénique,
des dons de danseurs, acrobates et mimes... Un bonheur de tous les instants.
Il est vrai que Giogio Gallione joue
à fond la carte du show à l'américaine et ne
lésine pas sur les moyens mis en place : décors amovibles
agréables, costumes luxueux, allusions politiques, pastiche d'opéra...
Tout y passe dans ce spirituel et déjanté spectacle en perpétuel
mouvement. Ca vole, virevolte, les gags abondent, on sourit, rit à
gorge déployée. En dépit de la gravité des
sujets abordés au fil de l'action et qui restent d'actualité.
Un comble !
Au pupitre, le bondissant Giuseppe
Graziole fouette, cravache l'Orchestre et les Choeurs du Carlo Felice et
nous convainc que le musical risque bien d'être une forme d'opéra
contemporain. En tout cas plus sympathique et moins rébarbatif que
certaines créations subventionnées.
Christian COLOMBEAU