Voilà une reprise qui n'a pas
manqué d'attirer les amateurs de bel canto d'autant que cet
opéra est le seul du genre programmé cette saison et qu'il
y a peu de chances, gageons-le, que l'Opéra de Paris monte de nouveaux
ouvrages appartenant à ce répertoire dans les années
à venir.
Cette production qui a vu le jour en
1996 n'est sans doute pas la plus aboutie de toutes celles que nous a données
Robert Carsen mais elle a le mérite d'être efficace, fonctionnelle,
et d'une grande lisibilité. De plus il faut reconnaître qu'elle
vieillit plutôt bien. Les décors de Michael Levine, tout en
rouge et noir, aux couleurs des deux factions rivales, réduisent
considérablement l'immense profondeur du plateau de Bastille et
s'avèrent très flatteurs pour les voix. Si la gestuelle des
protagonistes est assez convenue, on relève ici ou là quelques
idées bienvenues comme cette scène muette, pendant le prélude
du deux, où l'on voit Juliette errer parmi les victimes de la bataille
et retourner les corps gisant à terre avec la crainte de trouver
parmi eux, celui de Roméo. La scène du tombeau, extrêmement
dépouillée, est visuellement très réussie.
Sur le papier, la distribution on ne
peut plus alléchante confirmait une fois de plus l'habileté
de Hugues Gall à renouveler l'intérêt du public en
proposant à chaque reprise des interprètes différents
et non des moindres. Cette fois c'est l'équipe entière qui
a été changée par rapport aux éditions de 96
et 99. Les deux rôles principaux ont été judicieusement
confiés à Ruth Ann Swenson dont les prestations in loco
en Gilda, Manon et Antonia ont été autant de triomphes et
à Daniela Barcellona, star montante du chant italien qui effectuait
à l'Opéra de Paris, des débuts attendus.
Succédant à Andrea Silvestrelli
et Sorin Coliban, Giovanni Furlanetto campe un Capellio digne et sobre
à qui il manque toutefois un soupçon d'autorité pour
être totalement convaincant.
Tito Beltran ne possède ni la
vaillance de Marcus Haddock ni l'élégance de Raùl
Gimenez. Son Tebaldo, tout d'une pièce, est chanté constamment
forte, avec un timbre claironnant qui devient à la longue pénible
pour l'oreille.
Tel n'est pas le cas de Ruth Ann Swenson
qui dispose d'une palette de nuances infinie et dont les superbes pianissimi
laissent l'auditoire pantois. On ne se lasse pas d'entendre cette voix
ample et généreuse au timbre rayonnant qui fait d'elle une
Juliette anthologique à faire pâlir Laura Claycomb et même
Cristina Gallardo-Domas qui avait livré en 1999 un portrait fort
émouvant de la jeune amoureuse. Son "Eccomi in lieta vesta" est
sans conteste le plus somptueux qu'ont ait entendu depuis des décennies
: le sommet de la soirée.
Hélas, son Roméo ne s'élève
pas aux mêmes hauteurs, loin s'en faut. Disons-le d'emblée,
Daniela Barcellona a bien déçu. Pourtant la cantatrice italienne
s'était fait une réputation flatteuse en interprétant
sur toutes les scènes, les plus grands rôles de mezzos rossiniens
: Tancredi, Arsace, Malcolm, marchant ainsi sur les traces de Marilyn Horne.
Le Roméo bellinien semblait destiné à cette voix qui
cependant y trouve ses limites. Son air d'entrée "Se Romeo t'uccise
un figlio" et surtout la cabalette qui suit, "La tremenda ultrice
spada", la montrent à court de souffle, incapable de soutenir les
aigus qui se transforment en cris et la laissent aux prises avec des vocalises
qu'elle savonne allègrement. Quelques huées accueilleront
cette contre-performance, notamment le soir du 17 février. Déjà
en 2002 à Montpellier, sa prestation dans La Donna del lago,
pourtant remarquable, révélait un aigu un peu raide. Les
choses ne se sont guère arrangées depuis et l'on peut craindre
pour l'avenir de cette chanteuse, même si elle parvient à
se rattraper par la suite en proposant notamment une belle scène
du tombeau, toute en émotion contenue.
En vieil habitué de ce répertoire,
Bruno Campanella cisèle une direction en tout point idoine, avec
des tempos souvent retenus mais toujours pertinents, d'un raffinement extrême,
bien loin de la vulgarité dans laquelle trop de chefs (Pido en 96
!) plongent cette musique.
Une reprise en demi-teintes, illuminée
par la radieuse Juliette de Ruth Ann Swenson.
Christian PETER
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de Yonel Buldrini sur I Capuleti ed i Montecchi