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PARIS
28/05/2008
Joyce DiDonato (Romeo) & Anna Netrebko (Giuletta)
© Christian Leiber - Opéra National de Paris
Vincenzo BELLINI (1801-1835)
Les Capulets et les Montaigus
(I Capuleti e i Montecchi)
Opéra en deux actes (1830)
Livret de Felice Romani
Mise en scène, Robert Carsen
Décors et costumes, Michael Levine
Lumières Davy Cunningham
Giulietta, Anna Netrebko
Romeo, Joyce DiDonato
Tebaldo, Matthew Polenzani
Capellio, Giovanni Battista Parodi
Lorenzo, Mikhail Petrenko
Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
Direction musicale, Evelino Pidò
Chef des Chœurs, Alessandro Di Stefano
Opéra Bastille, 28 mai 2008
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Roméo DiDonato
« Quel désappointement ! Dans le libretto,
il n’y a point de bal chez Mercutio, point de nourrice
babillarde, point d’ermite grave et calme, point de scène
au balcon, point de sublime monologue pour Juliette recevant la fiole
de l’ermite, point de duo dans la cellule entre Roméo
banni et l’hermite désolé ; point de
Shakespeare, rien ; un ouvrage manqué
[…] ». Ainsi se plaignait Hector Berlioz dans ses Mémoires, après avoir assisté à une représentation des Capulets de Bellini à Florence.
Certes on est bien loin de Shakespeare : nous voilà
plutôt replongés dans un duel fratricide entre Guelfes et
Gibelins bien conventionnel. Mais il reste assez du mythe des deux
amants pour permettre à Bellini de trousser scènes, duos,
ensembles et airs magnifiques !
On retrouve sans déplaisir la production de Robert Carsen…
même si elle ne compte peut-être pas parmi les plus grandes
réussites du metteur en scène canadien. Les
éclairages sont toujours superbes mais ce décor
uniformément rouge est un rien triste et monotone et la
direction d’acteurs semble moins poussée
qu’habituellement.
Mais cessons ces circonvolutions et arrivons au cœur de ce qui
fait l’événement de cette reprise, sa
distribution !
Que n’avons nous lu sur Anna Netrebko,
bimbo marketing pour les uns, nouvelle diva absolue pour
d’autres… La cantatrice fait à l’occasion de
cette reprise ses débuts à l’Opéra de Paris,
mais, enceinte de plusieurs mois, elle n’assurera qu’une
partie des représentations (1).
L’attente était palpable… et au vu des acclamations
récoltées, son public n’a pas été
déçu.
Il est vrai que la cantatrice a de sérieux atouts dans son
jeu : une puissance remarquable, une timbre pulpeux, des graves
ronds, une technique lui permettant des allégements bienvenus et
des suraigus atypiques pour ce type de voix… ah, oui,
j’allais oublier… et un physique agréable !
Pourtant… Pourtant on reste un peu sur sa faim! Serait-ce
dû à une incarnation un brin prosaïque, une certaine
monotonie d’expression ? Peut-être attend-on plus de
légèreté, plus de fraîcheur de timbre chez
la jeune fille ? Le fait est que l’émotion peine
à poindre.
On se dit alors que ce répertoire belcantiste n’est
peut-être pas le plus adéquat pour lui permettre de faire
montre de ses meilleures qualités… On mettra cependant un
peu à part la confrontation avec son père, dans laquelle
la cantatrice s’investit à fond (avec trille, suraigus
à la clef) où elle impressionne, à défaut
de bouleverser.
Mais quelle Giulietta pourrait ne pas pâlir à face un Roméo en état de grâce ?
Que louer d’abord chez Joyce DiDonato,
la voix longue et homogène, le timbre lumineux, une belle
projection même dans le grave, la diction mordante ? Non, ce
qui frappe le plus c’est l’évidence de
l’incarnation. Le moindre geste, mot, galbe de phrasé
touche et prend sens. Le personnage est étonnamment vivant et
convaincant, la chanteuse étant aussi crédible en
adolescent bravache qui vient défier les Capulets, qu’en
amoureux enflammé, ou qu’en amant
désespéré et suicidaire … Je le
répète, son incarnation sonne comme une
évidence ! Les accents d’Anna Netrebko ne peuvent alors qu’apparaître fabriqués à côté de cela.
On retiendra pour le reste le Tebaldo de Matthew Polenzani, qui trouve là un rôle plus à sa dimension que l’Edgardo de Lucia de Lamermoor. (2)
Il en a le timbre franc, les nuances, mais un brin de mordant
supplémentaire aurait sied à sa première
scène. Le duo avec Romeo est lui enthousiasmant.
Les basses sont relativement sacrifiées dans l’œuvre… Mais Mikhail Petrenko convainc davantage par son aplomb dans les récitatifs que Giovanni Battista Parodi, Capellio au timbre terne et étouffé.
On ne pourra enfin passer sous silence la performance d’Evelino Pidò:
sa direction parfois brouillonne qui confond trop souvent
vivacité et précipitation tend à occulter la
délicate poésie de l’écriture bellinienne.
En un mot, courez voir ces Capulets, ne serait-ce que parce qu’il y a Joyce !
Et la comparaison avec la Juliette de Patrizia Ciofi s’annonce
passionnante… car si la cantatrice italienne ne peut se
prévaloir des moyens impressionnants de sa consœur russe,
on la sait capable de jouer de façon bouleversante de ses
fragilités.
Antoine BRUNETTO
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(1) Elle alternera avec une « doublure » de luxe en la personne de Patrizia Ciofi.
(2) Edgardo entendu ici même face à la Lucia de Natalie Dessay la saison dernière.
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