Samedi soir, il régnait à
Bastille une drôle d'ambiance. Les spectateurs ont d'abord dû
traverser une immense foule rassemblée pour la Gay Pride. Ils ont
ensuite appris à leur grande déception que Roberto Alagna
était remplacé par Luca Lombardo. Après cette mauvaise
nouvelle, certains ont dû se demander s'il ne serait pas plus amusant
d'aller admirer les Drag Queens au son de la techno (qui s'entendait paraît-il
du deuxième balcon).
Ils auraient eu raison car la mise
en scène d'Alfredo Arias manque toujours cruellement de couleurs,
de la fantaisie et du panache que la maître argentin a l'habitude
de donner à ses spectacles. On sent bien qu'il a été
tenté d'apporter une touche à la Goya à cette Espagne
revue par la France du 19ème siècle. Mais les quelques indices
(les nains doubles des danseurs eux-mêmes doubles des chanteurs)
se retrouvent comme un cheveu sur la soupe et la mayonnaise ne prend pas.
Ajoutez à cela un spectacle remonté en l'absence du créateur
et vous ressentez une mollesse générale et vous vous ennuyez
ferme.
Sachant que de nombreux spectateurs
étaient revenus " s'ennuyer " en espérant se régaler
du timbre solaire et des aigus piano promis par Alagna, on ne peut
que tirer son chapeau à Luca Lombardo d'avoir relevé un défi
impossible et d'avoir défendu son rôle vaillamment. Soyons
honnête, le timbre n'est pas très idéal (mais lorsque
l'on a subi Daniel Galvez Vallejo dans le même rôle il y a
quelques années, on devient très indulgent) mais le français
est impeccable, la musicalité bonne et les aigus très homogènes
et très justes (ce qui n'est pas forcément toujours le cas
d'Alagna) même si le chemin pour y parvenir est semé de coups
de glotte intempestifs. Et l'engagement dramatique est plus qu'honorable.
Chapeau donc ! Mais nous voulions Alagna !
Concernant les autres rôles principaux,
la Carmen de Denyce Graves est assez surprenante. Son physique est idéal,
les graves poitrinés superbes. Pour peu, on se croirait dans "Carmen
Jones" d'Otto Preminger. Mais les défauts s'accumulent dès
qu'il s'agit de donner un peu d'expressivité dans le phrasé
avec un français massacré et des intonations aigres. Quant
à l'engagement dramatique, c'est le minimum syndical, la dame se
contentant de jouer sur son physique léonin. Les imprécisions
vocales frôlant avec la vulgarité seraient certainement mieux
passées si nous avions eu affaire à une véritable
interprétation. Malheureusement, elle n'apparut véritablement
qu'à la toute fin. Ce n'est absolument pas suffisant. Et comme en
plus, on n'avait pas AlagnaÖ
Inva Mula est une Micaëla très
convaincante. Excellente musicienne, elle fut la triomphatrice de la soirée.
Il faut dire que certains de ses sons filés sont un régal.
Par contre, certains aigus exagérément vibrés peuvent
nous faire craindre le pire dans quelques années. Mais dans l'état
actuel, nous aurions bien aimé l'entendre en duo avec Alagna.
L'Escamillo de John Relyea est un grand
beau gosse à la voix de basse plus que de baryton. La voix est homogène,
mais peu originale et sans aigus éclatants (ce qui est un peu gênant
dans l'air du toréador). Les complices contrebandiers de Carmen
sont excellents avec mention spéciale à la Frasquita de Valérie
Condoluci et à la Mercedes de Stéphanie d'Oustrac, jeunes,
jolies et très en voix.
Les choeurs et l'orchestre étaient
simplement bons, mais sans la fièvre ni l'engagement que l'on attend
pour une musique "tellement connue", mais tellement unique dans l'opéra
français. La fosse s'est comportée finalement à l'image
de cette production très moyenne. Mais ce n'est pas parce que Carmen
est une oeuvre du répertoire qui garantit une salle remplie tous
les soirs, que l'on doit être obligé de subir un spectacle
plan-plan, surtout lorsque l'on sait que l'ONP est capable de monter des
opéras "tubes" avec talent (la Flûte et le Barbier
en sont deux exemples).
Et puis, de toute façon, y avait
pas Alagna !
Bertrand Bouffartigues