Pilier du Mur d'Orange depuis 1961,
la Carmen 2004 ne laissera pas un grand souvenir. Tout semblait
réuni pour avoir un grand et beau spectacle : une distribution de
haut niveau, un metteur en scène de qualité, un chef qui
aime l'ouvrage.
Que s'est-il donc passé ?
Et bien justement, les espoirs mis dans l'équipe en ont déçu
plus d'un. Savary aux abonnés absent, un ténor vedette qui
n'a pas voulu apprendre les récitatifs et dialogues, des coupures
en veux tu en voilà dans la partition (une honte pour tous !), un
chef manifestement malheureux... Bref, la mayonnaise n'a pas pris.
Jérôme Savary nous avait
habitués à mieux. Là, il se moque carrément
du public. Rien, zéro, un vide abyssal consternant dans cette production
destinée au Japon : des entrées et des sorties convenues,
des clichés, des poncifs, une imagerie naïve d'Espagne de pacotille,
des costumes - pourtant fabriqués à Madrid, par souci d'authenticité
? - clinquants et laids sortis tout droit d'un show de travestis, un ballet
qui frise le ridicule, des échassiers et feux de Bengale (?), un
permanent amateurisme, entre Michou et la Grande-Eugène, des images
inutiles pour meubler les entractes musicaux, des contresens inouïs
comme ces soldats mutilés et chevaux morts enneigés au troisième
acte...Que tout cela sent l'à-peu-près, le manque de travail,
de concertation, de professionnalisme. D'amour, tout simplement.
Privé des images, il restait
au spectateur la musique et le chant.
Là encore... il fallut bien...
déchanter. Le pire était à venir avec d'inadmissibles
coupes continuelles dans la partition (choeur des cigarières, des
contrebandiers, presque tous les récitatifs) pour avoir droit, finalement,
à un défilé d'airs, duos, trios, quatuors sans presque
aucun lien dramatique.
Réduite à un tas de
chiffons bleus, Nora Amsellem n'a rien compris au rôle de Micaëla
et vocalement sa prestation est indigne. Pas toujours dans la portée,
mettant en difficulté son ténor au premier acte, elle a fait
de son grand air une bouillie immonde, indigne d'un tel festival. Dans
la fosse, le maestro, s'ennuie puis semble surpris des applaudissements
du public qui n'y voit que du feu et hurle à tout rompre. Vox
Populi, Vox Dei...
Ludovic Tézier a campé,
lui, un fort honnête Escamillo. Quel sale rôle tout de même...
Excellents, en revanche, tous
les seconds rôles : Ragon, Grand, Cavallier, Henry, Dune et Deshayes
apportaient un peu de soleil dans une soirée bien triste.
Annoncé à grand renfort
de publicité, le premier Don José français de Roberto
Alagna n'aura séduit que ses inconditionnels. Sans doute fatigué
par une longue série de Faust londoniens, on a cherché en
vain chez l'artiste un brin de présence en début de soirée.
En seconde partie, une défonce totale - les élans véristes
lui vont si bien - ne pourra cacher les nombreuses approximations musicales
et vocales, un timbre terne, sans attraits.
On ne peut alors que relever le courage
et le métier (et elle en a pour avoir accepté de participer
à ce gâchis, cette parodie d'opéra) de Béatrice
Uria-Monzon. Rien à dire. Le physique et la voix du rôle,
une musicalité de tous les instants, aucune once de vulgarité
dans le jeu, simplement parfaite. Comme toujours.
Myung-Whun Chung, affichant une mine
boudeuse tout au long de la soirée, ne pouvait faire des miracles.
Carrément symphonique, sa direction alterne fulgurances et lourdeurs.
Comme beaucoup il reçut, aux saluts, une petite bronca toute méditerranéenne.
Christian COLOMBEAU