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STRASBOURG
05/10/2007
© Opéra National du Rhin
Michael JARRELL (né en 1958)
CASSANDRE
Monodrame d’après l’adaptation radiophonique
de Gerhard Wolf du récit de Christa Wolf
Créé le 4 février 1994 au Théâtre du Châtelet
Direction musicale : Jean Deroyer
Mise en scène : Georges Lavaudant
Décors et costumes : Jean-Pierre Vergier
Réalisation informatique musicale Ircam : Pierre Charvet
Ingénieur du son Ircam : David Poissonnier
Soliste récitante : Astrid Bas
Ensemble intercontemporain
Reprise
Coproduction : Odéon-Théâtre de l’Europe, Ensemble intercontemporain,
Ircam-Centre Pompidou, Instant Pluriel/Production déléguée : Instant Pluriel
Spectacle présenté dans le cadre de Musica,
festival des musiques d’aujourd’hui de Strasbourg
Strasbourg, Opéra, vendredi 5 octobre 2007
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la guerre de Troie n'a pas eu lieu
C’est dans le cadre de la thématique de la Guerre de Troie choisie par l’Opéra du Rhin depuis l’an dernier, que s’inscrit cette Cassandre
de Michael Jarrell, ouvrage créé en 1994 et repris ici
dans une nouvelle mise en scène de Georges Lavaudant
(elle-même créée il y a quelques mois à
Paris). C’est aussi une tradition à Strasbourg de
commencer chaque saison avec un ouvrage contemporain - si ce
n’est une création mondiale - et ce, bien souvent en
collaboration avec le festival Musica, festival des musiques
contemporaines devenu un festival incontournable au même titre
que Ars Musica à Bruxelles. Ainsi, l’an dernier,
l’Opéra du Rhin créait le premier opéra de
Bruno Mantovani, L’Autre côté,
ouvrage sensationnel et qui a marqué nos mémoires (il
sera repris en mars à la Cité de la Musique en version de
concert). Le Festival Musica proposait d’ailleurs quelques jours
avant cette Cassandre la première audition en France d’une
nouvelle œuvre de Mantovani, Time Stretch, qui confirme la
stature d’un décidément, déjà,
très grand compositeur.
Cassandre
n’est pas vraiment un opéra, mais un
« monodrame » se fondant sur un très beau
texte de 1983 de Christa Wolf, écrivaine de l’ex-RDA dont
le destin fait penser à celui de Chostakovitch :
indépendante du régime communiste, et donc très
surveillée par lui, mais n’ayant jamais voulu quitter son
pays. Ce texte est déclamé par une comédienne
tandis que le discours musical d’un ensemble instrumental
associé à l’électronique englobe, entoure,
supporte voire masque parfois cette voix parlée. Il ne
s’agit pas pour autant d’un simple mélodrame car la
place centrale du texte est fondamentale : tout part de lui et
tout tourne autour de lui, il occupe ainsi la totalité de
l’œuvre.
Il faut donc non une récitante mais une vraie actrice pour une telle performance, et ce fut le cas d’Astrid Bas, formidable voix qui capte indéniablement l’auditoire, dont l’investissement est à louer.
Derrière elle (pourquoi diable, d’ailleurs,
l’orchestre se trouve-t-il en fond de scène ?...),
l’Ensemble Intercontemporain brille de mille feux. Il n’est
qu’à lire sur le programme les noms des musiciens qui le
composent ce soir pour deviner avant même qu’il n’ait
joué son excellence : Hae-Sun Kang
au violon (qui joue deux jours plus tard le très beau mais
très exigeant Concerto pour violon d’Unsunk Chin dans le
cadre du Festival), Pierre Strauch au violoncellle, Alain Damiens à la clarinette, Emmanuelle Ophèle à la flûte, Michel Cerruti aux percussions etc., le tout dirigé par Jean Déroyer, on ne peut rêver mieux.
© Opéra National du Rhin
D’où vient alors notre déception ?
De l’œuvre tout d’abord, qui ne nous a guère
captivé. Elle suscite ça et là un certain plaisir
du fait de l’alchimie sonore (beau jeu sur les
résonances), mais a du mal à susciter
l’enthousiasme du fait d’un discours musical assez
monotone. Quelques épisodes émergent parfois
(l’évocation de l’entrée du cheval de Troie
par exemple) mais le tout paraît relativement terne.
De la mise en scène ensuite, extrêmement désarmante et pauvre.
Le dispositif scénique est des plus étranges :
l’orchestre est relégué en fond de scène et
à moitié caché par un panneau barrant le plateau
(pourquoi alors ne l’avoir pas mis en fosse puisque
l’actrice était de toute façon
sonorisée ?). Devant l’orchestre, un pan
incliné à la forme indéterminée (il
n’est jamais éclairé entièrement), de chaque
côté de ce pan, de grotesques colonnes tronquées et
cinq câbles qui parcourent la scène de jardin à
cour. Deux d’entre eux passent sous le pan incliné.
Personnellement, nous n’avons absolument pas compris ce
qu’ils représentaient et pourquoi deux passent sous le
pan...
© Opéra National du Rhin
Enfin,
un écran placé derrière l’orchestre (donc
fort loin) sur lequel sont projetées des images (peu lumineuses,
floues et donc difficilement identifiables : est-ce voulu ?)
censées offrir un contrepoint ou un accompagnement du texte.
Cependant, lorsque ce contrepoint consiste à offrir des visions
de conflits armés du XXe s. (on reconnaît notamment les
orgues de Staline et des bombardements de la Deuxième Guerre
Mondiale) pour accompagner l’évocation du conflit entre
Grecs et Troyens, on soupire quelque peu devant un tel cliché.
Bien sûr, Christa Wolf a connu la guerre, le communisme, mais
enfin, est-ce une raison pour nous infliger un effet plus
qu’éculé ? D’autres images, plus
incongrues (combats de boxe, dessins animés...) embrouillent
davantage encore.
Par ailleurs, la direction d’acteur et les déplacements de
l’actrice sont des plus sommaires et n’apportent rien de
captivant au récit.
Une réalisation scénique vraiment contestable donc et qui nous a semblé bien peu inspirée.
Pourtant, l’œuvre rencontre un certain succès ainsi
que l’ensemble de l’équipe. Nous avons pour notre
part du mal à partager cet enthousiasme, à concevoir
cette œuvre comme une « partition de
référence du théâtre musical
contemporain » (comme l’indique le programme) et
« l’acuité » du travail de Georges
Lavaudant...
Nous sommes visiblement passé complètement à
côté d’un spectacle formidable...
Désolé.
Pierre-Emmanuel LEPHAY
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