C O N C E R T S 
 
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STRASBOURG
01/04/03

(© Alain Kaiser)
Jules Massenet

Cendrillon

Opéra conte de fées en quatre actes 

Direction musicale - Cyril Diederich 
Mise en scène - Renaud Doucet 
Décors et costumes - André Barbe 
Eclairages - Guy Simard 

Cendrillon - Cassandre Berthon 
Madame de la Haltière - Susannah Self 
La Fée - Eleonore Marguerre 
Dorothée - Katri Paukkunen 
Noémie - Jeannette Fischer 
Pandolfe - Alain Fondary 
Le Roi - René Schirrer 
Le prince charmant - Bradley Williams 
Le doyen de la faculté - Michel Lecomte 
Le surintendant des plaisirs - Alain Domi 
Le premier ministre - Jean-Philippe Emptaz 

Choeurs de l'Opéra national du Rhin 
direction - Michel Capperon 
Orchestre Symphonique de Mulhouse 

Nouvelle production
en coproduction avec le Badisches Staatstheater de Kalsruhe


Il existe parfois des bonheurs imprévus : par exemple se rendre à une représentation de Cendrillon sans se préoccuper ni de la mise en scène, ni de la distribution, simplement pour l'amour de Massenet, et assister au spectacle le plus intelligent, le plus abouti qu'il soit donné de voir, et dans une distribution magnifique !

Le metteur en scène, Renaud Doucet et son acolyte André Barbe (décors et costumes) ont situé l'action dans les années 1950. Encore une transposition dites-vous ? Certes, mais une transposition bien venue, car ces années sont les dernières au cours desquelles les jeunes filles rêvent encore d'une vie sans nuage auprès de leur prince charmant. Les petites soeurs de ces Cendrillons, d'ici quelques années, brûleront leur soutien-gorge, s'inscriront aux groupes femmes, réaliseront que devenir une parfaite ménagère et convoler avec le prince charmant n'est pas un accomplissement en soi, et peut parfois s'apparenter à une nouvelle servitude.

Pourtant les Cendrillons des fifties y croient encore dur comme fer, et c'est logiquement sur une cuisine immaculée high tech rose bonbon que s'ouvre le rideau. Mais cette cuisine est cauchemardesque, les instruments ménagers dernier cri et autres cuisinières ultramodernes sont immenses et déformés, distillant une angoisse sourde, une sensation d'étouffement.

Les costumes de Mme de la Haltière et de ses filles sont eux aussi sortis d'une exagération de la mode des années 50. La bonne fée, quant à elle, sort de la télévision, a des faux airs de l'héroïne de "I love Lucy", porte un tablier propret en brandissant une cuillère à la place d'une baguette magique, et les bons génies qui l'accompagnent sont des "Monsieur Propre" ! Faut-il croire tout ce qui sort de la télévision ?

Pendant ce temps, le jeune prince (ténor, hélas, et non pas soprano comme l'avait écrit Massenet, mais il est vrai qu'on aurait eu plus de mal à faire ressembler une femme en travesti au héros de "Happy Days") s'ennuie. Son père organise un concours télévisé de la meilleure ménagère afin de lui trouver une épouse...: les prétendantes doivent savoir faire la cuisine, la vaisselle, langer un bébé, ce qui nous vaut une scène absolument hilarante où la salle ne peut contenir ses éclats de rire.

Au troisième acte, Cendrillon et le prince se retrouvent dans un drive in. Pendant que la fée chante et que les "Messieurs Propre" astiquent les chromes d'une voiture tout droit sortie d'"American graffiti", dont la plaque d'immatriculation est joliment numérotée J.M. 1899 (l'année de la création de l'ouvrage), défilent sur l'écran les images de tous les mariages princiers de l'époque : Grace Kelly et Rainier de Monaco, Rita Hayworth et Aly Khan, Jacqueline Bouvier et John Kennedy... Les deux jeunes gens, en vêtements de tous les jours, robe chasuble grise pour Cendrillon et veste de laine rouge et jaune pour le prince, entament leur duo d'amour et ce sont eux, habillés en prince et en princesse, qui s'embrassent sur l'écran... eh oui, l'adolescence rêve...

Pendant l'intermède musical qui suit, on découvre un vrai film de mariage, celui de Pierrette et Marcel (sic) les parents du décorateur, tandis que les "Messieurs Propre" font circuler des gobelets de pop corn dans la salle...!

Le dernier acte débute dans le jardin de "Mon Oncle" de Jacques Tati. La fameuse chaussure est essayée, les héros trouvent le bonheur et le père de la mariée tire la morale de l'histoire.

Bref, on ne s'ennuie pas avec cette mise en scène pertinente, drôlissime et jamais outrée. La distribution est d'une qualité et d'une homogénéité qui sont la marque de l'Opéra du Rhin. Cassandre Berthon, magnifique de bout en bout, prête son joli timbre à Cendrillon, et assume sans défaillance un rôle long et complexe. Son monologue de l'acte trois, seule devant le rideau fermé, émeut jusqu'aux larmes.


Cassandre Berthon (Cendrillon)

Son père, Pandolfe, est interprété par Alain Fondary dont on admire toujours autant la prestance scénique et la prononciation. S'il avait encore, ici même, il y a quelques semaines ébloui dans le rôle du Grand Prêtre de Samson et Dalila, le rôle de Pandolfe le place plus en difficulté, mettant davantage à jour l'usure que les années ont posées sur sa voix.

Mise à part Jeannette Fischer, décidément abonnée aux rôles de méchantes soeurs ridicules, le reste de la distribution est composée d'inconnus, pour la plupart d'excellentes surprises : Eleonore Maguerre, fée au chant précis et aérien, Susannah Self, mezzo au timbre velouté et homogène, malheureusement affligée d'une diction incompréhensible. Le ténor Bradley Williams, malgré des moyens limités (notamment un grave absent), a du style et un certain charme.

Seconds rôles, choeurs et orchestre (de Mulhouse) atteignent le même niveau de qualité que l'ensemble, et tous sont menés par un fin et efficace Cyril Diedrich.

Au final, on est emporté et convaincu par cet ouvrage peu connu tant du fait d'une distribution idoine que d'une mise en scène pétillante d'invention et d'humour.
 
 

Catherine Scholler & Pierre-Emmanuel Lephay
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