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BARCELONE
27 & 28/12/2007
© Antoni Bofill
Gioachino Rossini
La Cenerentola
Dramma giocoso en deux actes (1816)
Livret de Jacopo Ferretti basé
sur le conte Cendrillon de Charles Perrault et
les livrets de Charles-Guillaume Etienne (pour un opéra de Nicolas Isouard)
et Francesco Fiorini (pour un opéra de Stefano Pavesi)
Nouvelle coproduction
Gran Teatre del Liceu / Welsh National Opera (Cardiff)
Houston Grand Opera / Grand Théâtre de Genève
Mise en scène, Joan Font (Comédiants)
Décors et costumes, Joan Guillén
Lumières, Albert Faura
Chorégraphie, Xavi Dorca
Don Ramiro : Juan Diego Florez (27), Barry Banks (28)
Dandini : David Menendez (27), Fabio Capitanucci (28)
Don Magnifico : Bruno de Simona (27), Carlos Chausson (28)
Clorinda : Cristina Obregón
Tisbe : Itxaro Mentxaca
Angelina : Joyce di Donato (27), Silvia Tro Santafé
Alidoro : Simon Orfila (27), Joan Martin-Royo (28)
Choeur du Gran Teatre del Liceu
Directeur du choeur : José Luis Basso
Orchestre symphonique du Gran Teatre del Liceu
Direction musicale : Patrick Summers
Barcelone, les 27 et 28 décembre 2007
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Les enchanteurs
Appelée à courir le monde, cette nouvelle coproduction de Cenerentola
ne vise pas à actualiser incongrûment une historiette qui
serait trop fade pour notre goût. La mise en scène
respecte globalement les situations et les données du livret,
même si, çà et là, la fidélité
n’est pas totale.
Regrettons simplement que le décor unique, avec sa galerie sans
grâce qui au gré de l’éclairage prend sans
peine l’allure d’un praticable de prison, retienne les deux
sœurs et Don Magnifico à l’arrière-plan au
moment de leur entrée en scène, ce qui ne valorise pas
les interprètes. Les costumes abondamment colorés,
certains façon bande dessinée, déclinent
plaisamment des variations sur le thème du
XVIII°siècle à grand renfort de vertugadins pour les
dames et de vestes aux basques dansantes qui font des hommes des cartes
à jouer. Le Dandini de David Menendez,
grâce au grimage et à l’interprète, semble un
frère de John Galiano lors de ses apparitions
dixhuitiémistes et le Magnifico de Bruno de Simone est un sosie d’Enzo Dara à donner le vertige.
La seule incongruité revendiquée par le metteur en
scène et que l’on peut trouver plaisante est
l’omniprésence de rats de grande taille ; sans la
moindre justification psychanalytique ils sont les compagnons familiers
d’Angelina, peut-être délégués
auprès d’elle par le mystérieux Alidoro auquel ils
semblent obéir. Sans rien d’agressif ou de
répugnant ils intègrent simplement un
élément de fable dans une trame au fond tristement
réaliste. Du reste, si l’intervention d’Alidoro
prend un caractère miraculeux pour Cenerentola, elle n’est
en fait que la suite logique du test de sélection qui en a fait
l’élue. Mais marquer le caractère rationaliste que
le livret donne à la personnalité d’Alidoro
reviendrait à se priver du mage bienfaisant ; alors
à la place du carrosse dont Alidoro avait réglé
les détails de la venue les rats métamorphosés
provisoirement en serviteurs vont transformer une commode tombeau
– choisie on le suppose à cause de sa forme - en moyen de
transport enchanté où l’on retrouve les
échos de la citrouille.
Au total, une conception donnant lieu à un spectacle
agréable où l’aspect visuel ne s’impose pas
aux dépens de la musique et où l’œuvre est en
grande part respectée.
© Antoni Bofill
Reste l’interprétation. Commençons par les interprètes « permanents ». Le chœur
est d’une grande précision les deux jours mais manque un
peu de raffinement le 28, la fatigue prenant peut-être son
tribut. Néanmoins un soir et l’autre il exécute
avec un bel ensemble les mouvements quasi-dansés qui lui sont
attribués.
L’orchestre
sonne aussi bien le 28 que le 27 ; les vents soutiennent leur
partie avec valeur. Mais l’un et l’autre jour la direction
ne trouve pas toujours la justesse rythmique qui emporte
l’adhésion ; le 27 en particulier certaines lenteurs
amènent à se demander ce qu’en pensent les
chanteurs. Puis, les deux soirs, ce sont des
accélérations telles qu’elles mettent le plateau en
difficulté. Avoir dû travailler avec deux distributions et
devoir peut-être tenir compte des vœux de telle ou telle
vedette aurait –il empêché le chef d’avoir les
coudées franches ? En tout cas reste l’impression
d’une attente insatisfaite.
Côté plateau, les deux soeurs sont égales à
elles-mêmes, un peu en retrait par rapport à
d’autres incarnations, plus égoïstes que
débordantes de méchanceté. Cristina Obregon impose ses aigus parfois aux dépens de sa partenaire.
L’Alidoro de Simon Orfila a plus de prestance que celui de Joan Martin-Royo.
Ni l’un ni l’autre n’ont de graves profonds mais ils
se tirent sans dommage de l’air redoutable du premier acte, la
jeunesse du second plaidant en sa faveur pour l’avenir. Pour ce
qui est de Magnifico, Bruno de Simone
ne jouit pas du physique pléthorique qui permet à
certains interprètes de s’imposer dès leur
apparition ; il compose avec application un personnage au relief
modeste même lorsque la mise en scène le juche sur des
supports valorisants ; et en plus d’une occasion il semble
se réserver dans les ensembles pour donner de la voix en finale.
Le lendemain Carlos Chausson
campe un hidalgo dépravé avec une verve
supérieure, et si quelques nasalités entachent
l’émission dans l’air d’entrée, par la
suite la voix sonne juste et puissante tout au long de la prestation.
Dandini est un rôle exigeant aussi bien scéniquement que vocalement. David Menendez
s’acquitte très bien de la première partie de la
tâche, mais son timbre rêche et des agilités
approximatives n’en font pas un interprète très
séduisant. Fabio Capitanucci,
probablement tendu car c’est son baptême au Liceu, est
moins désinvolte et moins drôle au début et les
échelles vocales de l’air initial en sont
légèrement altérées, mais quand il parvient
à se contrôler, la voix bien timbrée s’ouvre
et se projette avec facilité, et le jeu gagne pareillement en
qualité. Le deuxième acte est très bon.
Probablement les représentations suivantes le montreront
d’emblée à son mieux.
Aujourd’hui, Juan Diego Florez
donne l’impression de chanter Ramiro aussi facilement qu’il
ferait une promenade de santé, et c’est probablement le
cas tant ce rôle semble avoir été écrit pour
sa voix. L’aisance scénique qui lui est venue fait de sa
prestation un délice et le rugissement qui salua l’air du
prince au deuxième acte était l’extase amoureuse
d’un public envoûté. Barry Bank,
le lendemain, n’a pas l’avantage d’un physique de
jeune premier ; mais outre un engagement scénique
indiscutable malgré des accessoires peu flatteurs – cette
perruque !- il a une sûreté dans le registre aigu
aussi impeccable aujourd’hui que voici douze ans à
Bruxelles - il chantait Narciso – sûreté qui en fait
un Ramiro de premier plan. Sans doute sa voix n’a-t-elle pas la
suavité de son confrère péruvien, sans doute ses
origines écossaises constituent-elle un handicap pour la
fluidité de la prononciation, mais son énergie lui a
permis de soutenir hautement une confrontation a priori intenable et
d’obtenir l’approbation bruyante de son auditoire.
Dans le rôle titre, Joyce di Donato
est exquise ; elle ne force jamais, au point d’être
parfois à la limite de l’audible dans la vaste nef du
Liceu, et chante seulement avec sa jolie voix de mezzo clair, sans
chercher à l’assombrir artificiellement. Le
résultat, bien qu’un peu monochrome, est un régal
raffiné et comme la composition théâtrale est
réussie elle recueille aussi force ovations. Silvia Tro Santafé,
l’autre Cenerentola, est dotée d’une voix immense
qu’il lui faut dominer ; ce 28 décembre elle y
parvient presque complètement et outre sa couleur sombre,
probablement plus en accord avec le personnage, c’est une joie
que de l’entendre purifiée des sonorités dans les
joues qui l’alourdissent parfois. Son bagage technique n’a
rien à envier à celui de sa consoeur, et même si
ses variations du « Non più mesta »
restent plus sages elle recueille à son tour un bel hommage du
public.
Ce spectacle attire les foules. Sans maltraiter une œuvre pour
lui faire dire ce qu’elle ne dit pas et en rassemblant des voix
aptes à le chanter dans un répertoire qui les glorifie.
La recette passera-t-elle les Pyrénées ?
Maurice SALLES
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