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SAN DIEGO
18/04/06
Ewa Podles - Giulio Cesare
© Ken Howard
Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
GIULIO CESARE IN EGITTO
Opéra en trois actes
Livret de Nicola Haym
Première représentation Londres 1724
Mise en scène : John Copley
Décors : John Pascoe
Costumes : Michael Stennett
Eclairages : Thomas Munn
Giulio Cesare : Ewa Podles
Cleopatra : Lisa Saffer
Sesto : Vivica Genaux
Achilla : Alfred Walker
Curio : James Scott Simmons
Tolomeo : Brian Asawa
Cornelia : Suzanna Guzman
Nireno : Mark Crayton
San Diego Symphony Orchestra
Direction : Kenneth Montgomery
San Diego Opera Chorus
Direction :Timothy Todd Simmons
San Diego Opera 18 avril 2006
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Vivifiant revival !
« We make musique worth seeing » (1), telle est la devise du San Diego Opera. Promesse tenue avec la reprise de cette opulente production de John Copley.
Montée sous la baguette de Charles Mackerras durant la saison
1979-1980 à Covent Garden pour les adieux de Dame Janet Baker,
reprise à Genève en 1983 avec Tatiana Troyanos, cette
mise en scène du chef-d’œuvre d’Haendel, parmi
les plus mémorables, est adaptée pour la scène du
Metropolitan Opera en 1988, toujours avec Troyanos, mais sous la
direction de Trevor Pinnock. Soigneusement conservés par le Met,
décors et costumes viennent de traverser les États-Unis
dans quatre semi-remorques pour le plaisir des spectateurs de la
côte Ouest qui commencent à s’initier à la
musique martiale, ludique et débordante d’émotions
de l’opéra baroque.
Les éléments scéniques d’origine,
évoquant notamment la plaine du Nil, le tombeau de
Pompée, le Mont Parnasse, l’appartement de
Cléopâtre, le sérail de Ptolémée et,
pour la scène finale, le port d’Alexandrie, ont
été remontés sur le vaste plateau du San Diego
Opera, une salle de près de 3000 places inaugurée en 1965.
Comme on aimait le faire dans les années 1980, Copley, Pascoe et
Stennett ont tenté une reconstitution quelque peu
idéalisée d’une représentation
d’opéra à l’époque d’Haendel.
Toiles peintes de ciels chromos ou de plage balayée par le vent,
épaisses murailles, parois en faux marbre, luxueux mobilier aux
proportions gigantesques, dorures incrustées de pierreries se
déploient avec un faste hollywoodien.
Ewa Podles - Giulio Cesare / Cleopatra Lisa Saffer
© Ken Howard
On ne
compte pas moins de quatre-vingt-dix-huit costumes faits de riches
étoffes et agrémentés de traînes et de
lourdes capes, de casques et de cuirasses. Certains datent de la
production originale, d’autres ont été reproduits
à l’identique par le Met. Pas moins de six changements
pour les principaux protagonistes !
Selon les habitudes du XVIIIe siècle, à part quelques
symboles architecturaux comme les obélisques provenant de
productions anglaises du début des années 1960, aucune
reconstitution réaliste de l’époque de
Cléopâtre n’a été recherchée.
Tout comme les neuf muses qui l’assistent pour séduire
César, la reine porte d’élégantes robes
à paniers, ornées de fleurs de lotus ou de plumes de
vautour qui suffisent à symboliser l’Egypte et le pouvoir.
Sobrement dirigé par Kenneth Montgomery, ancien directeur
musical de Glyndebourne, le San Diego Symphony Orchestra
— retrouvant ce chef après Ariodante
en 2002 — semble prendre goût à ce répertoire
assez nouveau pour lui. Les différents pupitres sont
équilibrés et généralement bien en phase
avec les voix. La fosse a d'ailleurs été
surélevée afin de favoriser le contact entre chanteurs
et instruments : cordes, viole de gambe,
théorbe, hautbois et bassons qui ponctuent les
récitatifs ou dialoguent parfois en solo avec l'un des
personnages.
Débutant sur la scène principale du San Diego Opera,
après un récital acclamé il y a deux ans dans une
autre salle, Ewa Podles a doublement ébahi le public local peu
habitué à la pyrotechnie vocale des arias da capo
et encore moins aux travestis. Mais comment ne pas se laisser prendre
à un chant aussi ensorcelant que le sien, toujours
parfaitement en situation avec le texte — ce qui est un exploit
dans ce rôle multi facettes qu’elle maîtrise à
chaque virage ! Car si Podles chante les morceaux de bravoure
comme Empio diro tu sei et Va tacito e nascosto avec des cadences irrésistibles et toute la fureur requise, les da capo subtils de Se in fiorito ameno prato dialoguant avec le violon solo et les récitatifs méditatifs comme Alma del Gran Pompeo ou Dall’ondoso periglio sont, eux aussi, magiques. Au troisième acte, l’aria Aure, deh, per pietà qui se termine par un grave superbe sur al mio dolor reste — à elle seule — un moment inoubliable.
Après sa Cornelie de 2004 dans la mise en scène de
Wernicke au Liceu de Barcelone (disponible en vidéo) et sa
récente prise de rôle du Bertarido de Rodelinda
à Dallas, dans une nouvelle production de Copley
également dirigée par Montgomery, Ewa Podles nous
rappelle ici, une fois de plus, qu’elle est une grande
interprète de Haendel.
La Cléopâtre de la soprano américaine Lisa Saffer
manque un peu de majesté, mais certainement pas de charme. La
voix est un peu sèche et plutôt petite, mais la chanteuse
compense avec une excellente projection et une émission claire,
nette. Infiniment séduisante, dans ses gracieuses attitudes
alanguies, Lisa Saffer sort de sa réserve pour faire de la
sublime et subtile aria Se pietà di me no senti, giusto ciel io moriro la déchirante prière attendue comme le sommet de la partition.
Le rôle du méchant Ptolémée, frère de
Cléopâtre, est brillamment chanté par le
contre-ténor américain d’origine japonaise Brian
Asawa. Avec ses da capo
virtuoses, ses aigus impeccables, ses graves sonores et une ligne fort
bien conduite, Asawa confère à son personnage toute
l’inquiétude nécessaire. Son interprétation
très originale, « entre sale gosse et tyran
sadique » selon Opera News, lui a valu de nombreux
succès dans ce rôle, notamment à Paris, Barcelone
et New York. À noter qu’il a aussi chanté Sesto en
2002 avec la Canadian Opera Company de Toronto dans une production qui
réunissait déjà Podles et Montgomery.
La veuve de Pompée, Cornélie, est incarnée par la
mezzo-soprano Suzanna Guzman. Elle possède une voix peu
colorée, vibrant légèrement, et une
présence scénique plutôt discrète pour une
briseuse de cœurs… La chanteuse américaine a
parfois un certain mal à passer l’orchestre, mais elle
sait se montrer touchante, en particulier dans le duo d’adieu
avec son fils, temps fort qui clôt le premier acte.
Vivica Genaux - Sesto
© Ken Howard
Avec
Sextus — une prise de rôle — la mezzo-soprano
américaine Vivica Genaux ajoute à son répertoire
un rôle qui lui va comme un gant ! Sa silhouette androgyne,
son visage agréable au regard droit, son chant précis,
engagé, son timbre un peu nasal et très personnel,
presque ténorisant, la rendent ici particulièrement
crédible et apte à séduire tous azimuts. De
surcroît, elle porte les élégants costumes de
Michael Stennet avec une aisance de top model qui les font remarquer dès qu’elle paraît.
Bien chantants, les interprètes de Nireno, Achille et Curio complètent avec talent cette excellente distribution.
Enfin, les très belles lumières de Thomas Munn
confèrent à l’ensemble une certaine douceur qui
estompe avec bonheur le côté clinquant et la profusion de
détails plus distrayants que nécessaires pour
apprécier l’ouvrage qu’on nous donne ici à
voir.
Brigitte CORMIER
1 - Avec nous, la musique vaut la peine d’être vue
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