CHARITÉ BIEN ORDONNÉE
L'Association
Internationale des Lions Clubs est une des plus anciennes associations
caritatives en activité. Elle fut fondée en 1917, à
l'initiative d'un homme d'affaires de Chicago, Melvin Jones. Dès
1920, l'association devint internationale, avec un premier club au Canada,
mais c'est dans les années 50 et 60 que des clubs virent le jour
en Europe, en Asie et en Afrique.
Une caractéristique fondamentale
de l'association, c'est qu'"aucun club ne peut avoir pour objet l'enrichissement
financier de ses membres". Ainsi, 100% des dons sont-ils consacrés
aux oeuvres (à titre de comparaison, les associations françaises
de type "Recherche contre le cancer" ne redistribuent guère que
30% des dons, la fondation Raoul Follereau, avec environ 70% de redistribution,
est une des plus efficaces). Les membres "payent de leur personne" afin
d'éviter le recours à des prestataires extérieurs.
Le recrutement de l'association est plutôt élitiste : les
membres co-optés viennent surtout d'une bourgeoisie aisée.
Les Lions Club de France ont un statut de fondation qui leur permet de
gérer des fonds provenant de plusieurs associations (seules 17 fondations
ont été homologuées en France parmi les milliers d'associations
existantes).
Le concert du 12 janvier a été
organisé au profit du Club de St Petersbourg : un concert
du même type avait été organisé l'année
précédente auquel Vladimir Galouzine avait prêté
sa notoriété.
L'objectif de ces concerts est de
réunir des fonds pour les orphelins de St Petersbourg.
La soirée était animée
par Gilles San Juan, dans un style démarqué du Jacques Martin
de "L'École des Fans" : compte tenu du bénévolat de
l'intéressé, nous glisserons sur la maladresse de certains
commentaires ou l'incapacité à prononcer le nom de quelques
artistes, pour signaler notre agréable surprise quand il enfourcha
le rôle d'Alfredo pour le brindisi final.
Autre monument de la soirée,
le chef Hugues Reiner, mélange de Dany Kaye et de Roberto Begnini,
avec un zeste de Jerry Lewis, qui saute du podium à la moindre occasion,
gratifie le public de commentaires délirants, chante le rôle
d'Onéguine dans la valse, jette son champagne au public à
l'issue du brindisi, multiplie les baisemains dans des pauses ahurissantes,
fait mine de s'étouffer à l'arrivée d'une soliste
précédemment qualifiée de "plantureuse" par l'incomparable
San Juan ou lui réclame par geste un baiser sur la joue... Ces pitreries
masquent un professionnalisme certain, le chef réussissant à
tirer le meilleur parti d'un orchestre où la bonne volonté
tente de compenser le manque d'expérience et qui accompagne les
chanteurs avec beaucoup d'application.
Le concert débute par l'air
du Toréador interprété par un Franck Ferrari qui nous
laisse sur notre faim ; bizarrement, la tessiture semble lui poser problème
: les aigus sont tendus (toute la reprise est un peu "en dessous") et les
graves inaudibles ; à l'inverse, son "Di Provenza", d'une tonalité
plus aiguë, est irréprochable.
Mihaela-Elena Stanciu aborde Gilda
puis Lucia avec un timbre qui nous rappelle d'autres Roumaines telles Vaduva
ou Gheorgiu. Le grain paraît un peu usé, mais on retrouve
une belle science de la coloration et de l'ornementation, avec de petites
variations inédites dans "Regnava nel silenzio" conclu par un contre-ré
un peu court.
La jeune Grecque Marita Paparizou
? plus contralto que mezzo - a encore des progrès techniques à
faire, mais les moyens sont assez impressionnants : il lui faudra également
apprendre à surmonter un trac un peu trop évident.
Star annoncée de la soirée,
Vladimir Galouzine caviarde (pour un russe, c'est normal) la moitié
de son programme (il devait également chanter le duo d'Otello
avec Tatiana Pavlovskaya et le "Vesti la giubba" de Paillasse) :
nulle surprise pour le Ghermann dont il reste un interprète exceptionnel
; avec son "Nessun dorma", couronné d'un aigu d'une puissance hallucinante,
il prend sa revanche sur ses passables Calaf à Bastille, l'année
précédente.
Sa partenaire Tatiana Pavlovskaya
a pour principal atout un physique avantageux qui la rend crédible
en Lisa ou en Tatiana ; vocalement, elle a du mal à tenir la distance
et arrive fatiguée à la fin des duos : on sent bien que ces
rôles ne sont pas dans ses cordes.
Hermine May, qui rappelle un peu Borodina,
déçoit en Carmen (mais le rôle est tellement rebattu)
qu'elle interprète de façon un peu sommaire ; sa Santuzza
est beaucoup plus intéressante, avec un bel investissement dramatique.
On ne présente plus Albert
Schagidullin, grand habitué du Châtelet : son Onéguine
est de grande allure, son Nottingham nous déçoit un peu (quitte
à couper une de ses interventions, j'aurais préféré
l'entendre dans le "Ah per sempre io ti perdei" initialement prévu
au programme).
De mon point de vue, la vraie surprise
de la soirée aura été la splendide Anda-Louise Bogza,
roumaine elle aussi : même si tout n'est pas parfait, il y longtemps
que nous n'avions pas entendu une telle voix pour Leonora, Tosca ou
la Wally ! Le "Pace pace" en particulier, nous vaut un "In van la paaaaaaaaaaaaaaace"
piano
de toute beauté et un "Maledizione" final impressionnant (à
noter que le programme l'annonce dans Rusalka à l'Opéra-Bastille
ainsi que dans Turandot à Limoges : à suivre).
Le final se conclut par le brindisi
de La Traviata, comme dans un gala patronné par Domingo !
Pour l'occasion, Gilles San Juan troque son micro pour une chanter d'une
belle voix de ténor léger le rôle d'Alfredo.
Au global, une bien belle soirée
: on regrette d'autant plus que, pour une oeuvre de charité, pas
mal de places soient restées vides (en théorie, le Châtelet
ne vendait pas de places, sauf à quelques abonnés sélectionnés
sur des critères peu clairs ; les organisateurs assuraient eux-mêmes
la billetterie).
Placido CARREROTTI