A Nice, l'opérette est à
la fête ! Toutefois, avouons bien bas pour commencer que La Chauve-Souris
a la réputation de porter malheur aux metteurs en scène qui,
s'éloignant du type viennois, cherchent des solutions scéniques
à ses faiblesses et contradictions.
Sylvie Laligne a pourtant réussi
tant bien que mal un compromis acceptable de l'impossible version française
du livret d'Haffner et Genée et n'a pas choisi de donner à
l'oeuvre une vision critique et distanciée. Si La Chauve-Souris
hante bien tous les rêves, le champagne et les quiproquos enchaînés
servent d'abord à faire tomber les masques. Malgré un premier
acte lent et soporifique (comme si tous cherchaient leurs marques dans
des costumes et un joli décor fonctionnel et passe-partout qui auraient
pu convenir à Arabella ou Traviata) qui laissait craindre
le pire - dans le style Feydeau et non plus dans le style de Meilhac et
Halevy et surtout Offenbach -, les choses ont vraiment démarré
en deuxième partie où l'admirable rage de vivre de l'air
du champagne a pris un poids insoupçonné.
Dans ce ballet perpétuel, la
danse proprement dite enchaîne sans hiatus avec le jeu d'acteur.
Mention au jeu époustouflant de Christian Asse dans un Léopold-Géôlier
bourré comme d'habitude, mais plein de tendresse... qui dérida
les plus réfractaires.
Confier l'ouvrage le plus difficile
car le plus connu de Johann Strauss à la défunte troupe de
l'Opéra de Nice était risqué. Troupe par ailleurs
aux excellentes individualités qui a permis à Gilles San
Juan de se tailler un joli succès dans le rôle du mari volage.
Voix très Mariano ou Boccelli (mais dans le bon sens du terme et
le personnage s'en accommode fort bien), don scénique incontestable.
La boniche Arlette, au chic roublard
et à la vocalisation désinvolte, d'un abattage presque rossinien,
trouve en la sympathique Gisèle Blanchard une interprète
d'exception. Jean-Luc Ballestra (Duparquet), allie panache vocal et élégance
scénique. Sans aucun doute la plus belle voix du plateau. Digne
réplique de Bernard Imbert en Gouverneur de prison. C'est avec impatience
que nous attendons sa mise en scène de l'Italienne à Alger
l'an prochain. Archétype du ténor d'opéra, l'Alfred
de Florian Laconi, joue si bien ce pastiche qu'on ne sait pas s'il se caricature
lui-même.
Artiste invitée, Danielle Streiff,
n'a pas bien sûr la voix de Rosalinde, pardon Caroline ! ou du moins
celle que l'on y espérait... Médium sourd, aigus vrillés...L'artiste
chante néanmoins sa Csardas avec une émotion qui sonne
juste et sans exagération superficielle. Marina Prudenskaja fait
ses débuts en France et restera pour beaucoup une révélation.
Languide, blasé et plus russe que nature, cet Orlovsky emporte l'adhésion
la plus totale.
Satisfecit global pour le reste
de la troupe, ballet et choeurs. Au pupitre, Vincent Monteil donna aux
valses la légèreté d'une crème chantilly et
à la partition un vertige réjouissant.
Christian COLOMBEAU