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BARCELONE
02/10/2007
© DR
Umberto GIORDANO (1867-1948)
ANDREA CHENIER
Drame historique en quatre actes
Livret de Luigi Illica
Production du New National Theatre Foundation-Tokyo
Mise en scène et scénographie, Philippe Arlaud
Costumes, Andrea Uhmann
Lumières, Philippe Arlaud
Chorégraphie, Keith Morino
Projections, Jean-Marc Van den Broek
Effets sonores, Kunio Watanabe
Andrea Chénier, José Cura / Fabio Armiliato / Carlo Ventre
Carlo Gérard, Carlos Alvarez / Anthony Michaels-Moore / Silvio zanon
Magdalena de Coigny, Deborah Voigt / Daniela Dessi / Anna Shafajinskaïa
Bensi, Marina Rodríguez-Cusi
Condesa de Coigny, Viorica Cortez
Madelon, Irina Mistura
Roucher, Miguel Angel Zapater
Fléville et Fouquier-Tinville, Enric Serra
Mathieu et Populus, Philip Cutlip
L’Increible, Francisco Vals
El abate, Josep Ruiz
El mayordomo et Schmidt, Vicenç Esteve Corbacho
Dumas, Manel Esteve Madrid
Orchestre Symphonique et choeur du Grand Théâtre du Liceo
Direction du chœur, José Luis Basso
Direction musicale, Pinchas Steinberg
Barcelone, le 2 octobre 2007
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Amour toujours
En ces temps agités, Andrea Chénier
a-t-il encore quelque chose à nous dire ?
L’opéra de Giordano appartient-il sans remède au
passé auquel il nous renvoie ? Ces questions qui surgissent
souvent à propos de l’opéra – un genre
obsolète, des œuvres dépassées –
semblent aller de soi avec ce « drame
historique » dont la fin montre les protagonistes heureux de
mourir ensemble. Quoi de plus éloigné de nous, quand
l’amour n’est plus pour nous cet engagement à tenir
« jusqu’à ce que la mort nous
sépare » ?
Oui, Andrea Chénier et Maddalena sont bien
démodés. Mais il est un autre couple qui ne l’est
pas, c’est celui de Chénier et de Gérard. Le
poète, cet homme qui au fil du temps et des
événements évolue et passe de la sympathie active
à l’aversion, puis à l’hostilité
à l’égard des révolutionnaires, est-il si
différent de nous et de nos adhésions ? Et
Gérard, cet homme capable de tout, en qui se mélangent
inextricablement appétit de justice et de revanche,
tiraillé entre ses convictions morales et la tentation
d’user de son pouvoir, influençable, vulnérable, et
qui néanmoins se jette dans la tourmente au risque de s’y
perdre, est-il si lointain ?
Voilà peut-être en quoi Andrea Chénier
n’est pas un opéra suranné ; au-delà du
drame du poète et de son aimée, il y a celui des hommes
avec leurs personnalités, leurs choix, leurs noblesses et leurs
bassesses, confrontés à l’histoire, à leur
impuissance et emportés vers leur fin, quels qu’ils aient
été. Une constatation bien pessimiste !
Mais l’opéra, ce sont des situations mises en musique, et
celle de Giordano accomplit son office de façon magique en
faisant vivre même ce qui dans l’œuvre pourrait nous
toucher le moins. Le monde révolu de l’ancien
Régime surgit par la grâce des rythmes et des
sonorités qui l’évoquent, et c’est en cela
que réside, comme on l’a dit, le
« vérisme » de Giordano. Un artiste
fourvoyé dans un salon où on ne peut
l’apprécier pour ses vrais mérites réagit
quand on le provoque, et s’emporte jusqu’à clamer
des opinions parfaitement déplacées : comment ne pas
s’en émouvoir ? Dans la tourmente
révolutionnaire, quand le bon sens lui commanderait de
s’enfuir tant qu’il en a le temps, sa sensibilité et
sa sensualité s’unissent pour le tenter de connaître
la femme mystérieuse qui lui envoie des lettres
parfumées. Les contraintes extérieures, le risque
permanent pimentent l’aventure, la volupté est au bout du
danger ; tout cela l’orchestration le dit et la musique le
transmet au spectateur, des grondements menaçants aux caresses
mélodiques. Comment ne pas vibrer lorsque Chénier est
jugé, devant sa défense agitée, devant les aveux
désespérés de Gérard ? Et la
scène où ce dernier met à Maddalena le
marché en main, la simplicité et la dignité de
celle-ci, l’évocation de ses malheurs, il faudrait
être de pierre pour résister ! Non, Giordano
n’est pas démodé, car il sait rendre
émouvants des personnages et des situations datées.
© DR
Evidemment,
pour que l’effet maximum soit atteint, encore faut-il que les
interprètes soient à la hauteur des enjeux, vocaux et
scéniques. Si pour la plupart des seconds rôles aucune
indignité n’est à relever, Dersi, Roucher et
surtout l’Increible méritent de vifs compliments. Dans la
première distribution, que nous avons vue, José Cura
est physiquement le personnage un peu embarrassé de
lui-même dans le salon de Madame de Coigny et aussi le jeune
homme tenté par une aventure avant de devenir un amoureux
ardent. Pour ce qui est du versant vocal, l’émission
n’a pas toujours la pureté et la clarté
nécessaire ; des tensions dans l’aigu sont
perceptibles dans l’air initial et dans « Ora
soave » à l’acte II certains sons émis
en force semblent mugis. Après l’entracte, la scène
du tribunal et la scène finale sont honorables. Sa Maddalena est
Deborah Voigt ;
vocalement sans reproche, des aigus sûrs, medium et grave
solides, elle ne communique guère d’émotion
jusqu’à « la mamma morta » ;
à son actif le contrôle du vibrato dont elle n’abuse
pas. Gérard, le rival malheureux de Chénier, le
révolutionnaire qui finit par renoncer à abuser de son
autorité et sublime ses sentiments au profit de Maddalena au
risque d’être emporté par l’arbitraire
d’un pouvoir tyrannique, est confié à Carlos Alvarez.
Il y a dix ans, il chantait un Posa sensible et nuancé.
Qu’est-il devenu ? La voix a durci et s’engorge
parfois, puis cela se nettoie et reste l’autorité, y
compris physique, qui impose la présence du personnage. A
l’applaudimètre il l’emporte largement.
Que dire du spectacle ? Philippe Arlaud
sait ce qu’il veut et ce qu’il fait. Le résultat
est-il à la hauteur des intentions ? Un toile
représentant peut-être le ciel bleu de France est
divisée par une oblique : signe de la fracture sociale que
l’acte I va révéler ? Dans le château de
la comtesse de Coigny tout semble être en équilibre
instable, mais les occupants ne semblent pas s’en apercevoir.
S’ils sont aveugles aux évidences, comment
s’étonner qu’ils ne comprennent rien aux
événements ? Pour Luigi Illica, l’acte se
termine sur la reprise de la gavotte, montrant la frivolité
incurable des aristocrates ; mais Philippe Arlaud fait revenir la
troupe des miséreux que Gérard avait
théâtralement présentée avant de quitter le
château avec elle, et ils massacrent l’assemblée. De
quoi rendre superflu le récit de Maddalena quand elle raconte
à Gérard la mort de sa mère et l’incendie du
château. Autre décision problématique : des
serviteurs font leur office en dansant ; faut-il alors croire
qu’ils travaillent dans des conditions affreuses qui rendent
urgente leur révolte ? Passons sur le plateau tournant de
l’acte II, censé représenter la tourbillonnante
agitation révolutionnaire, et facteur de distraction quand la
situation scénique exige du spectateur une concentration
élevée puisqu’on y trouve par exemple des duos
simultanés. Revenons sur un élément du spectacle
constitué par une projection du manuel de montage d’une
guillotine qui s’accompagne d’un schéma de
l’instrument se dédoublant jusqu’à couvrir
l’écran de trente-deux guillotines tandis qu’une
bande sonore diffuse le bruit métallique de la chute d’un
couperet. Conçu pour meubler le temps nécessaire à
passer du décor de l’acte I à l’acte II tout
en instruisant le spectateur il a eu pour résultat
d’indisposer le public qui après avoir murmuré
s’est mis à siffler. Entre le III et le IV il n’a
pas été répété. Un mot des costumes,
où le blanc dominant empêchait la formation de tableaux
réellement colorés. Il est vrai que les éclairages
rattrapent le déficit ; le bleu et le rouge forment parfois
des fonds de scène très chromo. Si l’on ajoute les
projections stroboscopiques et les feux d’artifice on n’est
pas surpris de lire que ce spectacle a été d’abord
produit au Japon tant on se prend à penser aux effets
développés à la télévision.
Heureusement l’orchestre et les choeurs
du Liceo ont secondé superbement un Pinchas Steinberg des grands
soirs, équilibrant parfaitement fosse et plateau et donnant
à la musique de Giordano sa dynamique, sa séduction et
son élégance.
Plutôt réservé pendant la représentation
– le premier air applaudi a été « la
mamma morta » à l’acte III, le public
s’est racheté à la fin, rendant le sourire aux
interprètes, particulièrement au trio vedette.
Maurice SALLES
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