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NANCY
13 & 15/03/2008
Finale Acte I
© Ville de Nancy
Umberto GIORDANO (1867-1948)
Andrea Chénier
Ossia la bontà in trionfo
« Dramma di ambiente storico » en quatre tableaux de Luigi Illica
créé le 28 mars 1896, au « Teatro alla Scala » de Milan
Mise en scène, Jean-Louis Martinoty
Costumes, Daniel Ogier
Décors, Bernard Arnould
Lumières, Jean-Philippe Roy
Conseiller chorégraphique, François Raffinot
Andrea Chénier : Carlo Scibelli
Maddalena di Coigny : Martina Serafin
Carlo Gérard : Piero Guarnera
La Contessa di Coigny : Michèle Lagrange
La vecchia Madelon : Michèle Lagrange
La Mulatta Bersi : Diana Axentii
Roucher : Guillaume Antoine
Il Sanculotto Mathieu detto « Populus » : David Bizic
Fouquier Tinville, accusatore pubblico : Antoine Garcin
Schmidt, carceriere a San Lazzaro : Eric Freulon
Dumas, presidente del tribunale di Salute Pubblica : Eric Freulon
Il romanziero Pietro Fléville, pensionato del Re : Christophe Gay
Un « Incredibile » : Eric Huchet
L’Abate, poeta : Eric Huchet
Il Maestro di casa : Eric Freulon
Chœur de l’Opéra national de Lorraine
Chef des Chœurs, Merion Powell
Orchestre symphonique et lyrique de Nancy
Direction musicale, Paolo Olmi
Nouvelle Production
Opéra national de Nancy et de Lorraine,
13 et 15 mars 2008
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La France du nord, enfin
Une foule renouvelée, en ce qu’elle comportait beaucoup de
jeunes, peuplait l’Opéra de Nancy pour ces cinq
représentations du chef-d’œuvre de Umberto Giordano…
enfin arrivé dans la zone interdite à
l’opéra italien passionné – on
appréciera le pléonasme car il est toujours
passionné !
Les amoureux français de l’opéra romantique italien
déclarent que ce répertoire a du mal à traverser
la Loire vers le nord. Les œuvres des compositeurs de la
« Giovane Scuola », commodément
nommée « Vérisme » sont-ils plus
fortunés, avec un directeur de l’Opéra de Paris se
permettant de refuser de laisser Puccini entrer dans son
théâtre, et des villes de l’Est comme Strasbourg et
Metz, évidemment pénétrées de
répertoire germanique, et Nancy, cette bonne capitale des ducs
de Lorraine, jamais territoire allemand dans l’histoire, mais
tout de même imprégnée de culture
d’outre-Rhin. Eh bien, grâce à la
ténacité du Maestro Paolo Olmi,
Directeur de la Musique à l’Opéra de Nancy, Andrea
Chénier vient enfin d’enflammer ce nord réfractaire.
Qu’importe alors si le critique d’un quotidien local
n’a pas compris cette musique ni l’esprit de
l’opéra italien en parlant de « musique
sirupeuse » ! Pauvre Umberto Giordano ! il est
certes éloigné de la musique poudrée de Mozart
mais montre bien de savoir la parodier, avec ses menuets et gavottes
très XVIIIe siècle, venant s’ajouter, aux citations
de La Carmagnole, du Ah ! ça ira ! et de La Marseillaise, couleur locale voulue : Vérisme oblige !
Finale Acte III
© Ville de Nancy
La distribution connut hélas beaucoup de remplacements dans les
rôles principaux, avec en premier lieu la brusque disparition du
ténor estimé Sergei Larin. Carlo Scibelli
dans le rôle du poète, propose une voix impressionnante
par son ampleur et sa force parvenant à dominer un orchestre
fourni et puissant. On tremble parfois qu’il ne parvienne pas
à diriger complètement sa voix massive vers la note
juste, mais il l’atteint toujours et nous rassure.
Martina Serafin
ravit dès qu’elle permet à son timbre somptueux de
se déployer, on découvre avec surprise sa force, sa
chaleur, sa luminosité. La belle et louable maîtrise
d’un tel timbre, la conduit à certains piani
superbes évoquant Renata Tebaldi, Maddalena di Coigny de
rêve. On comprend qu’une telle interprète triompha
en ce même rôle, dans le merveilleux « Teatro
Bellini » de Catane, chéri par chanteurs et chefs
d’orchestre pour sa splendeur et la qualité de son
acoustique.
Le Carlo Gérard de Piero Guarnera
serait efficace et à la hauteur des autres protagonistes
s’il possédait seulement un peu plus de projection dans la
voix… qualité indispensable pour
« rivaliser » avec l’orchestre de la
« Giovane Scuola » !
Impressionnante d‘autorité en « Contessa di
Coigny », autant qu’en vérité
pathétique dans la « vecchia Madelon » -
personnages en tous points opposés - Michèle Lagrange
nous étonne et nous ravit, en qualité et étendue
de timbre, en tempérament expressif, et - chose curieusement
difficile aux chanteurs français - en effort dans la
prononciation de l’italien. C’est le défaut de
pratiquement tous les personnages secondaires : le fait de parler
une langue cousine comme le français, ne les aide pas et on peut
constater qu’un Américain, un Européen du nord ou
de l’est, un Asiatique prononcera toujours mieux la langue du
chant par excellence. Les fameuses sonorités nasales du
français, ses consonnes sèches, empêchent
l’origine latine commune de faciliter les choses, et l’on
souffre à entendre les « AN-drea
Chénier », malheureusement lancés avec une
clarté mettant en valeur la nasale initiale, franchement laide
en ce « contexte » italien.
Ce n’est pourtant pas faute de l’avoir signalé, et
plus d’une fois, à l’interprète, nous
sommes-nous laissé dire… mais en vain : la nasale
triomphe toujours. C’est d’autant plus dommage qu’au
point de vue du chant, les nombreux personnages secondaires
étaient tous bien servis.
Les chœurs sonnaient
unis, précis, irréprochables comme toujours, sous
l’étonnante maîtrise de Merion Powell.
Le Poète-personnage avait un serviteur de choix dans le Poète-Chef d’orchestre, le Maestro Olmi
détaillant comme personne les touches du pinceau de Giordano aux
nuances si chatoyantes. Il faut en effet préciser qu’une
telle partition orchestrale aussi riche, fluide et chaleureuse, se voit
souvent transformée, dans le cas d’une exécution
sommaire, en une grande vague générale enflammée
(dans le meilleur des cas), quand ce n’est pas en une sorte de
sorte de « salade » compacte. Eh bien le Maestro
Olmi restitue l’ironie de la flûte s’en prenant aux
« Merveilleuses », détache le basson
goguenard qui poursuit La Carmagnole chantée par le chœur,
fait pleurer le violoncelle continuant le chant de la vieille Madelon,
à bout de forces, et fait vibrer la clarinette éperdue
qui cite la grande envolée de l’Improvviso
de Chénier… Véritable
« concertatore », comme l’on dit toujours
en Italie, le Maestro Olmi fait claquer son orchestre, nous laissant
sans voix dans certaines charges dramatiques, et complètement
sous le charme des envolées lyriques - non du chant mais
précisément de l’orchestre ! - voulues par
Giordano. L’enchantement se reproduisant huit jours plus tard,
dans ce même lieu, avec une étincelante ouverture d’Oberon, un resplendissant Concerto pour cor de Richard Strauss et une vibrante et lumineuse Symphonie héroïque
nous faisant éprouver le bonheur de la musique pure, sans
théâtre ni personnages exprimant leurs sentiments.
Finale Acte IV
© Ville de Nancy
Les
costumes d’époque, de moins en moins usités par les
metteurs en scène d’aujourd’hui, surprirent et
enchantèrent le public. A tel point que les croisant dans les
coulisses à la fin d’une répétition, la
tête nous tourna presque, propulsé que nous étions,
à l’époque des
« Incoyables », des
« Méveilleuses » et des derniers nobles
à perruques et à jabots…
Parallèlement à cette fidélité, la mise en
scène ne pouvait être actuelle si elle ne tombait pas dans
les excès d’aujourd’hui. Il est en effet curieux de
constater qu’en voulant éviter les vieux effets
mélodramatiques, on tombe dans d’autres attitudes à
la violence inutile : Gérard renversant la pauvre
Maddalena, tentant de forcer sa pudeur (!), l’embrassant
avidement… alors que les paroles et la musique nous disent tout.
Il ne faut pas oublier que nous sommes dans le monde de
l’opéra, monde de conventions où l’on doit
juste en faire assez pour « y croire »,
« jouer le jeu », un jeu qui n’a pas besoin
d’être fortement, violemment réaliste. En
franchissant la frontière du sordide, de la violence
outrancière, la magie du théâtre tombe et loin
d‘impressionner le public, c’est l’effet inverse qui
se produit, on se croit dans un banal film moderne, au réalisme
cru. Que l’on n’invoque pas ici, à propos de cette
gestuelle déplacée, un quelconque vérisme oblige.
Méditons plutôt la réponse pleine de bon sens que
Leoncavallo fit à un journaliste lui demandant :
« Croyez-vous opportun le réalisme sur la
scène lyrique ? ». Le sympathique compositeur
à la bonhomie légendaire répondit en effet :
« Le réalisme, oui mais jusqu’à un
certain point. Il ne faut pas oublier que sur la scène les
maisons sont toujours de carton ! » Ne tentons donc pas
d’être plus royaliste que le roi, si l’on peut dire…
On remarquait également d’autres petites inutilités
plus ou moins sordides, que l’on sait exister dans la vie et
qu’il n’est pas besoin de nous rappeler au milieu du
rêve de bonheur en musique que l’on vit dans une
représentation d’opéra. A quoi bon, par exemple,
après l’instant si pathétique, au premier acte, du
vieux père de Gérard, courbé sous soixante
années de service, le faire revenir au deuxième, ivre et
accroché à la pauvre bouteille que lui a donné la
liberté ?
D’autre part, on sait les personnages de la soirée chez la
comtesse, futiles au possible et Giordano parodie encore leur aspect
figé dans la musique couleur locale XVIIIe qu’il
s’amuse à composer, comme l’ineffable Gavotta
finale. Pourquoi alors forcer le trait en faisant descendre des
ceintres, des cordelettes suggérant les ficelles des
marionnettes, en faisant mouvoir les personnages comme des
pantins… sans parler des mannequins inertes et posés,
auxquels la comtesse s’adresse comme s’ils étaient
ses invités.
Enfin, il faut signaler une trahison brisant le charme d’un grand
moment de l’opéra. Lors de la scène du jugement, au
troisième acte, Chénier réfute une infâme
accusation de Fouquier-Tinville dans sa tirade « Sì,
fui soldato » :
« Oui, je fus soldat
et glorieusement j’ai affronté
la mort qui m’est ici donnée de manière vile.
J’ai été homme de lettres,
J’ai fait de ma plume une arme féroce
contre les hypocrites !
De ma voix
j’ai chanté la patrie ! »
Il
se lance ensuite, extatique, visionnaire, dans une métaphore
rêveuse assimilant sa vie à « une blanche
voile », arrivée peut-être à
l’ultime écueil, à la fin… Soit ! mais
à la poupe flotte, triomphal, un drapeau déployé
sur les vents où est inscrit
« Patrie ! ».
Il se tourne alors vers Fouquier-Tinville : « A lui
n’atteint pas / ta fange ! / Je ne suis pas un
traître. / Tu me tues ? Mais laisse-moi mon
honneur ! »
Giordano lui donne un chant passionné et chaleureux, et à
l’orchestre une musique lumineuse. La didascalie du librettiste
Illica explique : « (Un long murmure accueille les
paroles de Chénier : le public regarde et écoute
surpris.) » Au lieu de cela, la mise en scène fait
soupirer la foule qui pousse même des exclamations hostiles (!),
appuyées de vigoureux gestes d’impatience, coupant
l’impact des fortes paroles de Chénier.
Dernier travers de la mise en scène, ce refus d’utiliser
le rideau de velours, si impressionnant pourtant lorsqu’il tombe
en fin d’acte, en pensant d‘autre part que sa chute
guiderait un public impavide et ne connaissant pas l’œuvre,
lui indiquant qu’il peut applaudir. Heureusement pour les
interprètes méritants, ovations et rappels se
succèdent, dans un enthousiasme qui faisait plaisir à
voir… d’autant qu’avec une telle musique si
prenante, le public a également besoin de libérer son
émotion…
L’invention d’un décor s’ouvrant et se
refermant, et permettant parfois la projection bienvenue d’un
tableau célèbre ou d’ombres chinoises (durant la
charmante pastorale du premier acte) était une belle idée
mais qui restreint malheureusement trop la pourtant vaste scène
(elle dépasse en largeur celle de l’Opéra-Comique
de Paris), les personnages se trouvant parfois coincés. Du coup
lorsque les panneaux du décor s’écartent enfin, au
moment d’aller à l’échafaud, ils
découvrent une saisissante ampleur, brusquement symbolique du
terrible trajet à parcourir… On repense immanquablement
au même espace, dévolu à un sacrifice similaire par
Pier Luigi Pizzi lorsqu’il faisait marcher Polyeucte et Pauline
vers les lions, dans Les Martyrs de Gaetano Donizetti.
Un moment de choix pour les amoureux de l’opéra italien
dans ce qu’il a d’unique, de sacré : cette
union entre une mélodie qui va droit au cœur, et cet
aspect brillant de performance, d’héroïsme dangereux
car il ne faut point trop en faire, brûler ses rôles mais
ne pas défaillir.
Grazie Signor Maestro Olmi,
Merci Monsieur le Directeur Spielmann.
L’Opéra de Nancy, précisément national, peut
alors dignement recevoir pour la France du Nord, d’autres
œuvres du « vérisme à
perruques », comme Adriana Lecouvreur de Francesco Cilea – autre inconnu en Lorraine - ou encore du vérisme tout court, comme la superbe Fedora du même Umberto Giordano…
Yonel BULDRINI
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