C O N C E R T S 
 
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BERLIN
23/06/05
© DR
CHIEF JOSEPH

Musikalisches Theater
in drei Akten von Hans ZENDER

Création mondiale

Direction musicale : Johannes Kalitzke
Mise en scène : Peter Mussbach
Décors : Jimmie Durham
Costumes : Bernd Skodzig
Lumières : Franz Peter David
Dramaturgie : Ilka Seifert

Chief Joseph I : Alfredo Daza
Chief Joseph II : Meik Schwalm
Chief Joseph III / Old Joseph : Wolfgang Newerla
Young Joseph : Tölzer Knabe
1er Indien : Tim Severloh
2e Indien : Karol Cieplucha
3e Indien : Peter-Jürgen Schmidt
4e Indien : Matthias Vieweg
Mr. Spalding : Bernd Zettisch
Business man : Peter Menzel
Tool-hool-hool-suite / 5e Indien : Derrick Ballard
General Howard / Governor Stevens : Nicholas Isherwood
1er touriste : Florian Hoffmann
2e touriste : Tom Sol
Wacoba : Isolde Siebert

Neue Vocalsolisten
Staatskapelle Berlin

En anglais surtitré en allemand.

Staatsoper, Berlin
23 Juin 2005

Le Staatsoper de Berlin annonçait dès l'extérieur quelle couleur allait prendre la soirée : résolument rouge. Un immense buffle du décorateur Jimmie Durham accueillait en effet les visiteurs, trônant sur l'escalier d'honneur. La première note n'avait pas encore résonné mais le ton était donné. L'oeuvre allait donc parler d'Indiens; ni d'Indiens d'Inde, ni d'Indiens d'Amérique du Sud mais, fait plus rare à l'opéra, d'Indiens d'Amérique du Nord.

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Chief Joseph raconte des éléments de la vie de Hinmahtooyahlatkekht, littéralement "le tonnerre, qui roule au-dessus des montagnes", appelé aussi Chef Joseph. Ce chef de la tribu des Nez percés essaya d'abord de s'entendre avec les hommes blancs, de comprendre également la mentalité occidentale. Mais lorsque les accords territoriaux furent violés systématiquement, la tribu entra en combat. En guerre militaire d'abord, et leur stratégie dérouta les forces américaines, parfois en surnombre mais néanmoins battues. En combat pacifique parfois, comme en témoigne le discours tenu par Chef Joseph en 1879 devant le congrès à Washignton : 

[...] Je sais que ma race doit changer. Nous ne pouvons rester tels que nous sommes à côté de l'homme blanc. Nous ne demandons qu'une chance égale de vivre comme tous les autres hommes vivent. Nous demandons à être reconnus comme des hommes. Nous ne demandons que la même loi soit appliquée pareillement à tous les hommes. Si un Indien viole la loi, punissez-le par la loi. Si un homme blanc viole la loi, punissez-le aussi.

Rendez-moi ma liberté - liberté de voyager, liberté de m'arrêter, liberté de travailler, liberté de faire du commerce là où je le choisis, liberté de suivre la religion de mes pères, liberté de penser et d'agir pour moi-même - et j'obéirai à chaque loi ou je me soumettrai au châtiment. [...]

Ce discours a constitué la base du travail de Hans Zender, également auteur du livret. Le texte reprend les grandes contradictions entre hommes rouges et hommes blancs, de manière parfois un peu simpliste, moraliste ou stéréotypée mais souvent très juste et poétique. Il est donc bien dommage que l'écriture musicale ne porte absolument pas les paroles de manière à les faire comprendre. Cet opéra s'inscrit donc dès les premiers instants comme un opéra de l'ère des sur-titres puisque le compositeur compte manifestement sur ceux-ci.

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Le livret est construit de manière kaléidoscopique : le point de départ de l'action est le voyage d'un groupe de touristes vers la tombe de Chief Joseph. A partir de là, les séquences se mélangent : lorsque Joseph raconte sa vie passée, celle-ci devient l'action principale, puis on retourne au présent de manière abrupte ou bien on plonge vers un passé plus lointain encore. La confusion mènerait au vertige si l'on ne retombait pas sur nos pattes grâce à de nombreuses "îles de silence" et à trois "rotations", les piliers autour desquels Zender a construit sa composition. Celles-ci abordent des thèmes immémoriaux et donc terriblement actuels dans le rapport de la civilisation occidentale au monde : la première traite de l'homme et la technique et de la destruction de la nature; la seconde des problèmes liés à l'argent (les Américains ne pouvaient pas comprendre que les Indiens restaient insensibles à l'or qu'ils leur offraient); la troisième, enfin, parle de guerre et de génocide. Si elles sont linéaires dans leurs structures musicales, ces rotations se nourrissent néanmoins de textes variés, puisés entre autres chez Pessoa, Brecht et Goethe. On y retrouve également des références radiophoniques à Hiroshima ainsi qu'un collage musical (un motet de Machaut).


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Plus qu'un opéra sur les différences entre Indiens et Américains, il s'agit d'un opéra sur l'incapacité qu'ont les humains de différentes cultures à communiquer entre eux, à essayer de se comprendre. Nous sommes enfermés dans notre conception du monde et n'avons pas la place mentale de nous ouvrir à d'autres systèmes de pensée. Ceci est rendu de manière presque imagée en musique : des fragments stylistiquement différenciés se croisent, s'entrelacent, se mélangent parfois puis reprennent leurs chemins opposés. Les harmonies et les rythmes se chassent, mais aussi les timbres. Le compositeur a pris le parti de n'utiliser aucun d'instrument de musique indien puisqu'il n'en connaît pas et n'avait pas envie de composer une parodie de cow-boys et Indiens. Or, avec un sujet pareil, le glissement vers le mauvais goût est un réel danger. Lorsque Chief Joseph prend la parole pour raconter son peuple, son histoire et ses croyances, c'est un Ajeng qui l'accompagne, un instrument coréen à cordes frottées dont la sonorité rappelle une viole de gambe.

Les chanteurs ainsi que les 28 musiciens de l'orchestre ont dû faire face au nouveau système harmonique mis en place par Zender : en effet, il oppose le système tonal occidental à un système complet où le plus petit intervalle est le 1/12e de ton. La combinaison de cette microharmonie et de la polymétrique rythmique utilisée également en contraste avec une métrique plus classique et occidentale permet d'atteindre une grande finesse dans l'ensemble. Cette finesse complique le travail d'exécution des musiciens, mais cela n'a pas été insurmontable pour la Staatskapelle, dirigée avec élan et grande précision par Johannes Kalitzke. D'un point de vue vocal, l'ensemble était très convainquant même si les quatre chanteurs interprétant Chief Joseph étaient encore un cran au-dessus de l'ensemble, et parmi eux tout particulièrement Alfredo Daza, menant le rôle de Joseph avec son timbre plein et sombre qui se mariait aussi bien avec la caractérisation du rôle qu'avec l'Ajeng. Les Neue Vocalsolisten Stuttgart ont, de leur côté, ajouté une touche de douceur dans la fosse, psychologiquement parfois opprimée par les cuivres.

Pour sa première concrétisation scénique, le Staatsoper a fait appel à son directeur pour la mise en scène et à Bernd Skodzig pour les costumes mais a confié les décors à un Indien d'Amérique du Nord établi à Berlin depuis quelques années : Jimmie Durham. Ce dernier a projeté l'ensemble dans ce qui pourrait être le hall d'un grand hôtel ou un centre commercial, entouré d'un enchevêtrement d'échafaudages avec, au premier plan, un container à ordures et, en arrière-plan, des images de l'Amérique rêvée, celles que l'on retrouve dans les publicités Marlboro. Les costumes tendaient parfois vers le kitsch, l'éclectique non maîtrisé, nous montrant comme il est difficile de créer des costumes d'Indiens. La mise en scène de Peter Mussbach, quant à elle, exacerbait encore la confusion musicale. Elle ne conduisait pas le spectateur vers l'intelligible mais lui donnait de nouvelles pistes et découpait le livret jusqu'à l'incompréhension.


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Le matériau de base était émouvant en soi et très bien choisi comme base de réflexion sur l'ouverture des peuples occidentaux aux autres cultures, sur notre omniprésente notion de progrès également. Mais, à part quelques séquences suspendues dans l'air et dans le temps, où l'on sentait plus que l'on comprenait qu'il se passait quelque chose et que la musique nous invitait à une réflexion introspective que l'on mène bien trop peu souvent, le résultat est pâle : entre ennui et confusion, à force d'en faire trop on est arrivés au trop-plein. A force de vouloir éviter le kitsch on est tombés dedans aussi. Comme si souvent dans les mondes divers de la création artistique, les acteurs de la soirée n'ont pas réussi à se censurer suffisamment pour ne nous offrir que le très bon, mis à part les musiciens. C'est dommage et cela explique les quelques huées qui ont accueilli et manifestement fort affecté le compositeur.
 
 

Lise BRUYNEEL
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