Cette
production de la Clémence de Titus, première véritable
nouveauté du mandat d'Eric Chevalier, offrait à l'Opéra
de Metz l'occasion de tirer un trait définitif sur de récentes
controverses et d'oublier un début de saison assez pâle. L'occasion
a été saisie avec ce spectacle sobre mais soigné,
servi par un chef enthousiaste et une distribution aussi jeune que talentueuse.
Le rythme imprimé à la soirée, avec des récitatifs
écourtés, gomme partiellement l'aspect statique qui résulte
d'une trop stricte observance des règles de l'opera seria et
empêche la Clémence de bénéficier de
la même reconnaissance auprès du grand public que les autres
opéras de maturité de Mozart. Du coup, on oublie sans peine
la dernière production messine, immobile et glacée, qui valait
surtout, il y a dix ans, par la présence de l'impérieuse
Vitellia de Michèle Lagrange.
Metteur en scène, décorateur,
costumier et créateur des lumières de la présente
production, Jean-Paul Scarpitta choisit la carte de l'intemporalité
pour souligner l'universalité des caractères. Les chanteurs
sont placés dans un espace nu, que ne sculptent que les éclairages
et des tulles peints d'un goût parfait, tandis que les costumes n'appartiennent
à aucune époque précise : la Rome antique est ici
revisitée par les Lumières, avec en prime une touche contemporaine.
Dans ce cadre épuré, Scarpitta propose une direction d'acteurs
très soigneusement réglée, dans laquelle chaque déplacement
et chaque attitude ont été étudiés pour éclairer
les tourments des protagonistes. L'engagement scénique des artistes
donne vie et crédibilité aux personnages, et deux représentations
allégoriques viennent à point pour conclure chaque acte.
La sensualité, moteur du drame, est mise en scène avec force
mais sans complaisance. Cette mise en scène, à la fois sobre
et précise, est parfaitement conduite de bout en bout et offre au
spectateur un éclairage pertinent sur les passions et les souffrances
qui animent l'ouvrage, tout en le plaçant dans des conditions optimales
pour goûter les nombreuses merveilles de cette partition très
exigeante. Entre hiératisme et inutile agitation, le maître
d'oeuvre de cette production a choisi un juste milieu tout à fait
convaincant.
La distribution réunie par l'Opéra
de Metz vaut avant tout par un remarquable quatuor féminin. Chacune
de ces chanteuses affirme en effet une qualité de timbre, une maîtrise
technique et un tempérament scénique affirmé qui lui
permet de faire face à toutes les exigences de son rôle. L'Ecossaise
Gillian Webster avait chanté à Nancy, en 1998, une Servilia
charmante mais légèrement impersonnelle. Elle revient en
Lorraine avec une voix élargie (elle a notamment tenu le rôle
d'Elsa à Covent Garden) mais homogène et parfaitement contrôlée,
qui lui permet de se jouer des vertigineux intervalles du rôle de
Vitellia. Dès "Deh se piacer mi", elle impose une princesse véhémente
et manipulatrice, mais aussi vocalement irréprochable, avec un registre
grave bien assumé et jamais poitriné. Son intelligence musicale
lui permet de rendre justice avec beaucoup d'émotion à son
magnifique rondo "Non piu di fiori", véritable sommet de
la partition. Elle partage les lauriers de la soirée avec Isabelle
Cals, qui, elle aussi, témoigne d'une grande générosité
vocale sans rien céder sur le plan technique. La mezzo française,
très crédible dans le travesti et dont la voix semble désormais
arrivée à pleine maturité, campe un remarquable et
ardent Sesto. Elle nous offre un "Parto, ma tu ben moi" impétueux
et parfaitement maîtrisé, avec un timbre rond et une musicalité
irréprochable, puis déploie une grande palette expressive
dans un émouvant "Deh per questo istante".
La jeune Laure Baert, révélée
ici-même lorsqu'elle remporta le concours national des Voix d'or
en 2003, affiche dans Servilia une assurance scénique qui lui permet
d'arracher son personnage à la mièvrerie. Avec un timbre
qui a gagné en pulpe, elle compose une jeune femme volontaire et
chante avec la grâce requise son superbe aria "S'altro che lagrime".
L'Annio séduisant et légèrement sopranisant de Blandine
Staskiewicz concourt également à la réussite de la
soirée. Le Tito de Jean-Francis Monvoisin est plus problématique.
Je ne pense pas m'avancer en affirmant que le récitatif mozartien
n'est pas le terrain d'élection de ce chanteur qui réalise
par ailleurs une carrière fort honorable. L'écriture du rôle
de l'empereur le met à mal à plus d'une fois et les longues
vocalises de "Se all' impero" semblent excéder ses ressources. Pourtant,
le ténor aborde sa partie avec probité et intelligence, et
témoigne de respectables intentions musicales et dramatiques. Enfin,
le rôle peu gratifiant de Publio met à nu les problèmes
d'intonation de Jean Teitgen.
La direction de Jacques Mercier tient
compte de certains apports baroqueux, mais s'inscrit dans une optique résolument
classique. Dès l'ouverture, le chef messin impose une lecture contrastée
et dynamique, dont la vivacité n'exclut pas la précision.
Il mène avec un enthousiasme communicatif les forces d'un orchestre
national de Lorraine une nouvelle fois desservi par l'acoustique très
sèche du lieu. Il faut également souligner la bonne prestation
des choeurs de l'Opéra de Metz, qui apportent leur pierre à
l'édifice d'un spectacle efficace qui soutient l'attention sans
discontinuer et sans la moindre faute de goût.
Vincent DELOGE