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MARSEILLE
30/01/2007
© Christian Dresse
Armand (Sébastien Droy), Desfournettes
(Patrick Vilet); Mme Alexandra (Marie-Ange Todorovitch)
Jean-Michel DAMASE (1928-)
COLOMBE
Comédie lyrique en quatre actes
Livret de Jean Anouilh
Nouvelle production
Hommage à Jean Anouilh et Jean-Denis Malclès
Mise en scène, Robert Fortune
Assistante, Irène Fridricci
Décors, Christophe Vallaux et Robert Fortune
D’après Jean-Denis Malclès
Costumes, Christine Rabot-Pinson
Lumières, Philippe Grosperrin
Colombe, Anne-Catherine Gillet
Madame Alexandra, Marie-Ange Todorovitch
Madame Georges, Nicole Fournié
Julien, Philipp Addis
Armand, Sébastien Droy
Poète Chéri, Marc Barrard
Desfournettes, Patrick Villet
Du Bartas, Eric Huchet
La Surette, Jacques Lemaire
Le Pédicure, Marc Callahan
Le Coiffeur, Daniel Izzo
Un Machiniste, Wilfrid Tissot
Orchestre de l’Opéra de Marseille
Direction musicale, Jacques Lacombe
Marseille, le 30 janvier 2007
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L’anti Jules et Jim
Quel délicieux spectacle ! Délicieux et utile, car
en programmant cette comédie lyrique de Jean-Michel Damase
créée le 5 mai 1961 Renée Auphan qui
persévère dans ses fidélités rappelle avec
éclat l’existence d’œuvres musicales
françaises du XXème siècle dignes de notre
intérêt et injustement délaissées.
D’abord, le livret de Colombe
est toujours actuel. Que son auteur ait rejoint le purgatoire connu par
nombre de ceux qui ont été fameux ne rend pas
obsolète l’histoire de cette jeune femme consciente de son
charme et que l’absence de son mari va mettre en situation de
vivre à son gré. La difficulté de savoir qui
l’on est, qui l’on aime, la responsabilité à
l’égard d’engagements pris dans l’ignorance,
la trahison par les plus proches, le débat entre pragmatisme et
intransigeance, compromissions et pureté, plaisir et devoir, ces
thèmes ne sont pas nés avec Anouilh et ne sont pas morts
avec lui. Non seulement ils portent écho de la
littérature antique, avec les mères monstrueuses et les
frères ennemis, mais ils sont en langue moderne
l’expression du pessimisme de La Rochefoucauld adapté
à notre temps. Qu’on y adhère ou non, on ne peut y
être indifférent.
© Christian Dresse
Colombe (Anne Catherine Gillet),
Mme Alexandra (Marie-Ange Todorovitch)
Ensuite
le traitement musical est d’une légèreté de
touche qui nous rappelle qu’il existe une tradition
d’élégance dans l’expression longtemps
caractéristique de la musique française dont Jean-Michel
Damase s’inspire et se fait le vecteur. Certains reprocheront
à la partition d’être avare d’accents ;
c’est pourtant se méprendre que d’attribuer cette
sobriété à une impuissance créatrice. Il
s’agit bel et bien d’un choix
délibéré : refuser l’effet, au nom
d’une « bonne éducation » qui
s’appelle la classe. Oui, c’est en classique que
Jean-Michel Damase s’exprime, avec la même économie
de moyens que Racine : plaire non par la surcharge sonore mais par
un dépouillement de bon aloi, au nom de la règle qui
définit la véritable élégance comme celle
qui ne se remarque pas. Il en résulte une écriture
d’une souplesse telle qu’on pourrait ne pas percevoir la
manière d’un grand faiseur. Bel exercice
d’abnégation et bel exemple de probité ! On
pense çà et là à Poulenc, à Strauss,
et puis on ne pense plus à personne, mais à savourer la
fluidité du tissu musical, jusqu’à la parodie
désopilante d’opéra qui évoque la fantaisie
de l’Opera Seria ou des Convenienze ed inconvenienze teatrali.
Cette production, conçue comme un hommage à Jean Anouilh
et à Jean-Denis Malclès, son scénographe durant
presque quarante ans, brille aussi par le charme des
éléments scéniques, inspirés des dessins et
maquettes de ce dernier. Robert Fortune et Christophe Vallaux ont
conçu des dispositifs légers permettant de passer
d’acte en acte par de courts précipités,
évoquant en quelques accessoires les coulisses et les loges
d’un théâtre. Des costumes superbes – en
particulier pour Madame Alexandra – et bien mis en valeur par les
éclairages complètent le plaisir des yeux.
© Christian Dresse
Du Bartas (Eric Huchet),
Mme Alexandra (Marie-Ange Todorovitch)
Vocalement
aussi on est à la fête. Les théâtreux,
Desfournettes, Du Bartas et Poète chéri trouvent en
Patrick Villet, Eric Huchet et Marc Barrard des interprètes
savoureux mais mesurés dans l’extravagance, hormis la
coiffure du dernier qui semble sortir d’un feuilleton
télévisé. Nicole Fournié prête au
personnage de l’habilleuse-confidente un relief satisfaisant.
Armand, le bellâtre jouisseur, reste sympathique de par la
grâce physique et vocale de Sébastien Droy ; la
scène conclusive de l’acte deux est à cet
égard très réussie. Son frère
obstiné, sorte d’Antigone au masculin – toutes
proportions gardées –, est incarné de façon
remarquable par le jeune baryton Phillip Addis ; il rend sensible
le malaise du personnage aussi bien physiquement que par son chant.
Felicity Lott ayant renoncé avant le début des
répétitions au rôle de Madame Alexandra pour des
raisons de santé, Marie-Ange Todorovitch a accepté de la
remplacer. Bien lui en prit : son incarnation de ce monstre
sacré est de premier plan, la composition, si l’on nous
permet, est jouissive, et l’éclat vocal dans les foucades
du personnage alors qu’il se remémore un brûlant
désir ne sont pas loin d’évoquer un rut !
Après L’Héritière et avant, peut-être,
Eurydice, Anne-Catherine Gillet est Colombe. Sa voix ronde,
homogène, fraîche, est celle du personnage, et elle sait
en exprimer la naïveté puis la rouerie avec le charme
qu’on lui connaît. Jacques Lacombe maîtrise la fosse
et obtient qu’elle suive les chanteurs dans les méandres
d’une partition nouvelle pour tous sans anicroche.
Ainsi s’achève dans la joie une représentation
saluée par de nombreux rappels. D’autres maisons
reprendront-elles ce bijou ? Il sera retransmis sur France Musique
le 28 avril à 19h30.
Maurice SALLES
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